Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

POPULISME

Le populisme, symptôme de la crise des démocraties représentatives

La démocratie moderne marche sur deux pieds. La souveraineté du peuple constitue le pilier populiste du régime démocratique, l’autre pilier étant le constitutionnalisme, censé encadrer et limiter l’expression de la volonté populaire tout en garantissant le pluralisme. Entre le principe de la souveraineté populaire et les présupposés normatifs de l’État de droit, les tensions sont inévitables.

Ceux qu’on appelle aujourd’hui « populistes », qu’ils se disent de droite ou de gauche, affirment vouloir redonner au peuple son pouvoir de décision, en privilégiant les consultations relevant de la démocratie directe ou semi-directe. Leurs critiques s’appliquent à la démocratie représentative comme telle, dont ils récusent le fonctionnement. Ils rêvent donc d’une démocratie absolue, ce en quoi ils donnent dans l’utopisme.

Depuis le début des années 2000, la crise des démocraties représentatives est parfois interprétée comme l’indice d’un passage à la « postdémocratie », cette dernière étant définie par la dissociation entre ce que fait un gouvernement et ce que les citoyens qui l’ont élu voudraient qu’il fît. D’où, chez les citoyens-électeurs, le sentiment d’une trahison permanente des élites gouvernantes, qui alimente leur indignation, leur colère ou leur révolte, mais aussi leurs fantasmes. Ce qu’on appelle « populisme » est avant tout une série de symptômes de cette crise et un ensemble informel de propositions, souvent floues et contradictoires, censées permettre de la surmonter. On observe que les multiples campagnes contre les mouvements et les partis populistes ne les ont pas fait disparaître de la scène. Le contraire est vrai : les critiques qu’ils ont suscitées semblent avoir augmenté leur attractivité. C’est que ces critiques sont aussitôt disqualifiées car attribuées aux élites cyniques qui feraient profession de tromper et de trahir le peuple fier et sans reproche. On ne lutte pas efficacement contre une crise profonde en se contentant d’en critiquer les symptômes.

Ce qu’il faut considérer avant tout, c’est une anxiété collective, et plus précisément une anxiété de masse fixée sur les questions identitaires, en la rapportant à la force du ressentiment contre les élites du pouvoir, de l’argent et de l’intelligence. À cet égard, on peut parler de « populisme émotionnel », réaction à l’insécurité culturelle vécue par les classes populaires. Comme l’ont montré notamment l’élection de Donald Trump, le vote en faveur du Brexit, les succès électoraux du Rassemblement national ou l’accession au pouvoir d’une coalition « antisystème » en Italie, le rejet du « politiquement correct » est devenu l’une des motivations du vote « populiste », s’ajoutant au rejet des élites en place, dont l’idéologie s’était précisément modelée sur le « politiquement correct » (multiculturalisme, discrimination positive, ouverture à l’immigration, effacement des frontières, idéalisation du postnational, etc.). L’explosion populiste marque la banalisation des politiques de la peur.

Le ressentiment et la défiance ont de puissantes traductions politiques. Tels sont les moteurs passionnels de la révolte des classes populaires contre les élites dans les démocraties occidentales, comme l’a souligné Christophe Guilluy (2022) : « La société segmentée, multiculturelle, s’est imposée. Mais avec elle, la société de la défiance. » Il y a là le fondement d’un nouveau clivage qui, sans effacer le clivage gauche-droite, l’affaiblit et le marginalise : le clivage entre gagnants et perdants de la globalisation. Nul ne peut imaginer sérieusement ce que pourrait être une démocratie postreprésentative instaurée par les perdants du village planétaire. Le retour au réel, en politique,[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Pierre-André TAGUIEFF. POPULISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Commission d’enquête parlementaire sur l’attaque du Capitole - crédits : Matt McClain/ The Washington Post/ Getty Images

Commission d’enquête parlementaire sur l’attaque du Capitole

Jair Bolsonaro et Viktor Orbán - crédits : Marton Monus/ picture alliance/ Getty Images

Jair Bolsonaro et Viktor Orbán

Mouammar Kadhafi, 1973 - crédits : Michel Artault/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Mouammar Kadhafi, 1973

Autres références

  • ALGÉRIE

    • Écrit par Charles-Robert AGERON, Universalis, Sid-Ahmed SOUIAH, Benjamin STORA, Pierre VERMEREN
    • 41 835 mots
    • 25 médias
    ...« l'unité de la nation », en l'élargissant à la communauté des croyants sans frontières (umma islamiya), sorte de bloc indécomposable, uni et unanime. Ce populisme, déjà porté par le FLN, contribue à simplifier la politique, à radicaliser les couples amis-ennemis, de telle sorte que les conflits ordinaires...
  • AMÉRIQUE LATINE - Rapports entre Églises et États

    • Écrit par Jean Jacques KOURLIANDSKY
    • 6 741 mots
    • 2 médias
    ...sociétés latino-américaines. Le lien entre anticommunistes « moonistes » d'Amérique du Nord et du Sud était assuré par la World Anticommunist League. D'autres gouvernants d'orientation populiste ont ultérieurement intégré le dynamisme mobilisateur de ces Églises dans leurs combats. Ainsi, en 1990,...
  • AUTRICHE

    • Écrit par Roger BAUER, Jean BÉRENGER, Annie DELOBEZ, Universalis, Christophe GAUCHON, Félix KREISSLER, Paul PASTEUR
    • 34 125 mots
    • 21 médias
    Jörg Haiderstigmatise les « vieux partis », dénonce le partenariat social à l'autrichienne, les « privilèges des gros », diffame les hommes et femmes politiques du pays et, à partir de 1989, il stigmatise de plus en plus violemment les étrangers qui menaceraient l'identité autrichienne. La radicalité...
  • CATHOLICISME - Le catholicisme contemporain

    • Écrit par Paul THIBAUD
    • 3 354 mots
    • 1 média
    ...évidemment très conscient de la contradiction entre les succès qu'il remportait « hors les murs » et les difficultés auxquelles il se heurtait à l'intérieur. La tactique qu'il essaya intuitivement fut une stratégie populiste : utiliser un charisme consacré par les foules afin de restaurer son autorité sur le...
  • Afficher les 20 références

Voir aussi