ŒDIPE, mythologie
Carte mentale
Élargissez votre recherche dans Universalis
Dans la tradition de L'Odyssée, Œdipe est l'homme que sa mère Jocaste épouse, sans le savoir, commettant ainsi le « grand forfait ». Il n'y a pas de mot en grec pour l'inceste.
Quand Œdipe s'unit à sa mère, il a déjà tué son père Laïos et l'a dépouillé de ses armes. Les dieux révèlent aussitôt le crime. Pourtant Œdipe va régner sur Thèbes, mais torturé par les maux apportés par les Érinyes de sa mère-épouse, qui s'est pendue. La mort du père, à elle seule, semble n'avoir aucune suite. Œdipe n'est inquiété par les Érinyes, levées par le suicide de sa mère, que parce qu'il a, d'une certaine manière, troublé l'ordre. En effet, à Thèbes, la souveraineté est régulièrement transmise par les femmes, et c'est la main de Jocaste ou d'Épicaste qui est promise au vainqueur du monstre dont Thèbes est prisonnière. Le destin de Laïos est de n'avoir pas d'enfant mâle ou de périr par la main de fils qu'il aurait le malheur d'engendrer. Pour celui qui veut régner à Thèbes, Jocaste est la Terre, à laquelle il doit nécessairement s'unir.
Laïos est poursuivi par la colère de l'Héra du Cithéron, protectrice du mariage et sans doute de ce type de souveraineté transmise par les femmes. Le Sphynx, monstre envoyé à Thèbes par Héra, est un être mi-femme, mi-bête, qui possède sexuellement et dévore physiquement de jeunes garçons, ses victimes. Puissance polymorphe, qui combine l'oiseau, le serpent et le lion, et qui se fait énigme vivante comme ces dieux de la mer, Protée, Thétis, Nérée ou Métis, puissances primordiales qui se muent en toute sorte de formes. L'énigme que propose le monstre est aussi pour les Grecs une parole multiple, mobile, chatoyante, insaisissable comme l'être polymorphe qui se confond avec elle. Répondre à l'énigme, c'est fixer le polymorphe, le réduire à une seule forme, comme font les héros chargés d'affronter un dieu rusé que seul peut enchaîner une prise circulaire, assez forte pour épuiser le cycle des métamorphoses déployé par cette divinité. L'autre monstre que devait vaincre Œdipe est le renard de Teumesse, animal à qui, tous les trente jours, on donnait un enfant à dévorer. Nul chien ne peut le rattraper à la course. Les moyens employés par Œdipe sont inconnus. Mais, dans le mythe de Procris et de Céphale, le renard est éliminé par un chien que nul ne peut semer : incapable de distancer son poursuivant, lui-même impuissant à combler cette distance, tous deux sont figés dans la pierre.
Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), Œdipe et le Sphinx, 1808. La victoire d'Œdipe signifie l'écroulement d'une mentalité superstitieuse et obscurantiste que soutenait l'adhésion sans réserve à la croyance aux puissances mythologiques. Huile sur toile (H. 1,89 m ; L. 1,44 m). Musée...
Crédits : Maurice Babey/ AKG-Images
— Marcel DETIENNE
Écrit par :
- Marcel DETIENNE : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)
Classification
Autres références
« OEDIPE, mythologie » est également traité dans :
ANTIGONE
Issue de l'union maudite, parce qu'incestueuse, d'Œdipe et de Jocaste, elle porte bien son nom (du grec Antigonê ), celle que sa piété familiale condamnera à une mort atroce sans époux ni descendance, au terme d'une courte vie toute de malheur, d'errance et de déréliction. Être intermédiaire, déraciné, abandonné de tous, être mort-vivant, c'est-à-dire aussi bien ni mort ni vivant, telle se présent […] Lire la suite
ANTIGONE, Sophocle - Fiche de lecture
Dans le chapitre « Fatalité et démesure » : […] La tragédie s'est structurée avec Eschyle, mort lorsque Sophocle avait quarante ans et lorsque Euripide, le plus jeune de cette génération de dramaturges classiques, faisait représenter sa première pièce. La principale innovation de Sophocle consiste à faire interpréter les pièces non plus par deux, mais par trois acteurs. Il donne ainsi une possibilité d'expression supplémentaire au personnage : […] Lire la suite
DESTIN
Dans le chapitre « La peste » : […] « Œdipe et Freud apportèrent tous deux la peste » (A. Green). La question se pose de savoir pourquoi c'est à Œdipe que Freud emprunte le modèle qui le définit comme structure universelle. Il s'en explique : « Pour moi, une série de suggestions prirent leur origine à partir du complexe d'Œdipe dont je reconnaissais l'ubiquité. Le choix, voire la création de ce sujet, avait certes été toujours énig […] Lire la suite
ÉCHEC
Dans le chapitre « Échec et projet » : […] La névrose d'échec elle-même, dans son projet aliéné, témoigne d'une intention obstinée. La guérison, Carl Gustav Jung l'a bien vu, ne consiste pas à supprimer la névrose, mais à la convertir. L'échec, occasionnel ou répété, est l'envers d'une émergence confuse que la psyché s'obstine à nier, mais qui, sans cesse, la traverse. La névrose parfois dévoile son sens – en filigrane ou à travers le déc […] Lire la suite
ÉNIGME
L'énigme est protéiforme : charade, rébus, anagramme, chiffre, mystère, secret, trucage, devinette, maquillage, prestidigitation, trompe-l'œil, collage, problème, oracle, etc. Elle joue ainsi sur les registres les plus divers de la connaissance (image, symbole, signe, idée), en en faisant saillir, dès les réalités les plus banales et quotidiennes, des possibilités « sur-réelles » insoupçonnées. El […] Lire la suite
ESCHYLE (env. 525-456 av. J.-C.)
Dans le chapitre « La justice » : […] Eschyle croit à la justice divine. Et en particulier lorsqu'il s'agit de fautes mettant en cause soit le respect des dieux soit la vie des humains. Ses vers résonnent un peu partout du nom des Érinyes, les déesses vengeresses attachées à poursuivre le crime. Et à chaque instant il répète que toute faute est un jour châtiée. « Nul rempart ne sauvera celui qui, enivré de sa richesse, a renversé l'au […] Lire la suite
GRÈCE ANTIQUE (Civilisation) - La religion grecque
Dans le chapitre « La période mycénienne » : […] C'est un bouleversement complet qu'entraîne la conquête de la Grèce par les Grecs, Indo-Européens qui apportent avec eux un héritage spirituel profondément différent de celui de la Méditerranée préhellénique : leur religion patriarcale privilégie les dieux par rapport aux déesses et honore essentiellement non les divinités chthoniennes (de la terre), mais les dieux ouraniens (du ciel). C'est alor […] Lire la suite
MYTHE - L'interprétation philosophique
Dans le chapitre « Le modèle structural » : […] Pour Claude Lévi-Strauss, le représentant le plus important de cette école en France, la mythologie doit être considérée comme une « mytho-logique », c'est-à-dire comme la mise en œuvre d'une sorte de logique qui ne peut être entendue que si l'on recourt aux présuppositions principales d'un modèle structural de langage. Selon ce modèle, élaboré par F. de Saussure, L. T. Hjelmslev, les structuralis […] Lire la suite
ŒDIPE COMPLEXE D'
Dans le chapitre « Œdipe, notre destin » : […] « Mais où retrouver à présent la trace presque effacée de l'ancien crime ? » (Sophocle, Œdipe-Roi ). Œdipe : fils du roi de Thèbes, condamné par l'oracle à tuer son père et épouser sa mère, abandonné, exposé par son père à sa naissance, recueilli par le roi de Corinthe, puis, apprenant à Delphes l'oracle, fuyant ses parents supposés. Alors, au hasard des chemins, meurtrier de Laïos, son père, l'in […] Lire la suite
ŒDIPE ROI, Sophocle - Fiche de lecture
Vers 430 avant J.-C, lorsque Sophocle (495-406 av. J.-C.) s'attaque à la légende d'Œdipe, celle-ci appartient depuis longtemps à l'univers culturel grec. Déjà évoqué par Homère, Hésiode et Pindare, le roi de Thèbes coupable d'avoir tué son père et épousé sa mère a fait l'objet de plusieurs épopées et tragédies aujourd'hui perdues, comme la trilogie d'Eschyle : Laïos , Œdipe et Les Sept contre T […] Lire la suite
Pour citer l’article
Marcel DETIENNE, « ŒDIPE, mythologie », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 22 janvier 2021. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/oedipe-mythologie/