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NI ZAN[NI TSAN](1301-1374)

La notion de « peinture des lettrés », qui s'était incarnée pour la première fois à l'époque Tang dans la personnalité d'un Wang Wei, puis qui avait trouvé à l'époque Song chez Su Dongpo et Mi Fu de prestigieux porte-parole, a dominé l'ensemble de la peinture chinoise à partir de la dynastie Yuan. L'occupation mongole, qui marqua dans l'histoire politique chinoise une humiliation sans précédent, se solda paradoxalement dans le domaine artistique par un remarquable renouveau créateur. L'usurpation étrangère démobilisa de la vie publique une proportion importante de lettrés ; ceux-ci, s'isolant dans une retraite protestataire, purent s'adonner tout à loisir aux choses de l'esprit, se tournant vers les mystiques d'évasion – bouddhisme et taoïsme, qui, comme à toutes les périodes de désarroi politique, connurent alors un regain de développement – et cultivant la poésie, la calligraphie et la peinture. L'ignorance et l'indifférence de la dynastie mongole en matière de peinture rendirent aux artistes une plus grande liberté d'inspiration : plus d'académie impériale pour servir d'arbitre officiel du goût, plus de carrière ouverte à l'ambition des peintres professionnels ; la peinture redevient une activité purement individuelle d'amateurs raffinés.

Un grand maître Yuan

Des « quatre grands maîtres Yuan » – Huang Gongwang, Wu Zhen, Ni Zan et Wang Meng –, Ni Zan n'est pas le plus puissant, mais il est probablement le plus pur. Sa vie, sa personnalité et son œuvre présentent une cohérence exemplaire, une intégrité et une originalité irréductibles. Sa peinture illustre par excellence l'impondérable qualité du yi (noble désinvolture, détachement intérieur) qui, à partir de l'époque Yuan, devint la catégorie suprême de l'esthétique chinoise.

Né à Wuxi dans le Jiangsu, Ni Zan tout au long de sa vie ne s'est guère éloigné de sa région natale. Comme les autres grands maîtres Yuan, il est un homme du Sud, mais plus qu'eux encore il se montre dans sa peinture étroitement fidèle à un certain terroir bien localisé : les étendues du lac Taihu et la grâce mesurée des collines qui l'entourent. Issu d'une riche famille de grands propriétaires terriens, il bénéficia d'une excellente éducation littéraire et artistique. À l'abri de tout souci matériel, disposant d'une bibliothèque splendide et d'une importante collection de peintures et de calligraphies antiques, il se maintint délibérément à l'écart de la vie politique et se créa un univers spirituel, esthétique et contemplatif dans l'intimité duquel n'était admise qu'une petite élite d'amis – moines, poètes et artistes. Intéressé par le bouddhisme, Ni Zan était aussi un adepte zélé des pratiques de méditation taoïstes. Son activité intellectuelle se partageait entre la poésie, la calligraphie et la peinture. Sa poésie, d'une originalité remarquable, tranche sur la production assez ampoulée de ses contemporains par un lyrisme intime et direct, dans la veine des Tao Yuanming, Wang Wei et Wei Yingwu, et, à l'époque, sa réputation de poète éclipsa même ses réalisations de peintre. Sa calligraphie est elle aussi très personnelle, combinant les styles de Ouyang Xun et Chu Suiliang avec les archaïsmes du style de chancellerie des Han. Le recul du temps a placé l'œuvre du peintre nettement au-dessus de celle du poète et du calligraphe ; mais il n'en reste pas moins que, dans l'élaboration de sa peinture, l'inspiration poétique et la discipline calligraphique constituent des composantes essentielles. Ni Zan, comme d'ailleurs les autres grands maîtres de l'époque, aime à illustrer l'unité de nature entre les trois arts, en calligraphiant sur ses peintures des poèmes de sa composition.[...]

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Écrit par

  • : reader, Department of Chinese, Australian National University

Classification

Pour citer cet article

Pierre RYCKMANS. NI ZAN [NI TSAN] (1301-1374) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CHINOISE CIVILISATION - Les arts

    • Écrit par Corinne DEBAINE-FRANCFORT, Daisy LION-GOLDSCHMIDT, Michel NURIDSANY, Madeleine PAUL-DAVID, Michèle PIRAZZOLI-t'SERSTEVENS, Pierre RYCKMANS, Alain THOTE
    • 54 368 mots
    • 37 médias
    Le plus grand peintre de ce temps reste peut-être Ni Zan (1301-1374), esprit bohème, solitaire et sensitif à l'extrême. Ses paysages dépeuplés sont en général de petit format ; son pinceau incliné et sec renforce le trait nerveux en laissant jouer les blancs du fond. Les vides prennent ainsi toute leur...
  • WANG MENG (1308 env.-1385)

    • Écrit par Caroline GYSS
    • 1 496 mots

    Quatre grands peintres du xive siècle ont été choisis par les auteurs de la postérité comme les meilleurs représentants de la profonde mutation artistique survenue sous les Yuan, et réunis sous le vocable de « Quatre grands maîtres Yuan ». Ce choix est le fruit d'une longue élaboration qui, au cours...

Voir aussi