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NATIONALISME

Nationalisme et mutations sociales

L'établissement d'un tel inventaire typologique ne peut manquer de conduire à des problèmes plus généraux d'interprétation, se rapportant notamment aux liens qu'il convient d'établir entre le développement des idéologies du nationalisme et l'évolution globale des sociétés à l'intérieur desquelles elles s'expriment.

Sans doute est-ce, à cet égard, la grande diversité des groupes sociaux, « véhicules porteurs » de l'idéologie nationaliste, que toute étude comparative tend immédiatement à faire apparaître. Le centre de gravité sociologique du phénomène nationaliste semble en effet très largement varier selon les collectivités envisagées et selon même les différentes phases de l'histoire des collectivités. Dans certains cas, le nationalisme semble surtout s'affirmer dans les milieux les plus directement associés au progrès économique (les bourgeoisies européennes du xixe siècle par exemple) ; dans d'autres cas, en revanche, c'est dans les groupes sociaux menacés par le développement économique qu'il possède ses assises les plus larges. On le voit parfois surtout exprimé dans les milieux les plus favorisés par le système établi, mais on le voit aussi trouver ses résonances les plus profondes dans les classes déshéritées. Il n'est pas rare même qu'il puisse se développer à la conjonction de groupes sociaux aux intérêts les plus apparemment divergents : bourgeoisie urbaine et paysannerie pauvre, artisans et grands entrepreneurs, notables traditionnels et nouveau prolétariat.

La constatation n'interdit pas, cependant, de tenter de situer le fait nationaliste dans les perspectives d'une évolution générale des sociétés modernes ; en effet, tout au moins à ses débuts, la diffusion de l'idéologie nationaliste se trouve généralement liée aux conséquences diverses du phénomène du déracinement. Les pays en voie de développement offrent à cet égard les références les plus significatives. C'est parmi les groupes sociaux le plus récemment et le plus brutalement coupés de leurs cadres traditionnels, notamment les nouvelles élites intellectuelles et les masses prolétarisées, que le nationalisme a trouvé dans ces pays ses échos les plus puissants : il apparaît alors comme un phénomène principalement urbain. Mais il peut aussi se développer en milieu rural à partir du moment où les communautés anciennes commencent à se désagréger, où les vieilles solidarités se dénouent, où les structures maintenues par le passé, familiales, villageoises ou tribales, commencent à s'effondrer. La naissance et l'affirmation du nationalisme tendent ainsi à correspondre au processus de destruction des sociétés anciennes et de restructuration d'une société nouvelle.

Valable pour les sociétés contemporaines de l'Afrique et de l'Asie, l'observation semble également pouvoir fournir divers éléments d'analyse intéressants pour l'étude rétrospective des nationalismes européens des siècles derniers. Elle présente à tout le moins le mérite de mettre en évidence les fonctions sociales d'intégration et d'identification historiquement assumées par le développement des nationalismes. Par là même, elle conduit à une interrogation sur le destin de certains nationalismes contemporains, et plus particulièrement ceux de la vieille Europe : cette fonction d'intégration et d'identification, dans quelle mesure sont-ils encore capables de la remplir ?

— Raoul GIRARDET

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Écrit par

  • : professeur à l'Institut d'études politiques de Paris

Classification

Pour citer cet article

Raoul GIRARDET. NATIONALISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ACTION FRANÇAISE

    • Écrit par Universalis, Jean TOUCHARD
    • 5 156 mots
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    ...qu'il a réalisé, avec toutes les apparences de la rigueur la plus absolue (« Il est, écrivait-il, des vérités que tout établit, que rien ne dément. »), l'amalgame de deux tendances jusqu'alors bien distinctes et même longtemps opposées : le traditionalisme contre-révolutionnaire et lenationalisme.
  • AFFAIRE DREYFUS

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