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KUNDERA MILAN (1929-2023)

« Il existe deux conceptions de ce qui est „œuvre“. Ou bien on considère comme œuvre tout ce que l'auteur a écrit ; c'est de ce point de vue, par exemple, que sont souvent édités les écrivains dans la célèbre collection de la Pléiade : à savoir, avec tout : avec chaque lettre, chaque note de journal. Ou bien l'œuvre n'est que ce que l'auteur considère comme valable au moment du bilan. J'ai toujours été partisan véhément de cette deuxième conception. » Cette « note de l'Auteur » Milan Kundera, né à Brno le 1er avril 1929, jointe à la réédition tchèque de La Plaisanterie, au lendemain de la « révolution de velours » (1989) qui suspend la censure de ses œuvres dans son pays d'origine après vingt ans d'interdiction, formule l'éthique et le parti pris esthétique qui seront inlassablement énoncés en français dans ses quatre essais publiés à ce jour. Elle sert aussi de protocole scrupuleux à l'« édition définitive » des œuvres du romancier, établie par François Ricard en 2011 sans apparat critique ni biographie de l'auteur, assortie d'une seule « biographie de l'œuvre ». Après cette édition, Milan Kundera a publié un seul roman, La Fête de l’insignifiance (2014). Il meurt à Paris, le 11 juillet 2023.

Milan Kundera - crédits : Louis Monnier/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Milan Kundera

Reprenant à son compte l'idée de « littérature mondiale » chère à Goethe, ayant fait le choix du français comme sa langue d'écrivain dès 1985, année à compter de laquelle il révise toutes les traductions antérieures de ses romans, émigré en France depuis 1975 et naturalisé français en 1981 après avoir été déchu de sa nationalité tchèque en 1979, Milan Kundera se définit d'abord comme le disciple du grand roman européen. Il entend par là une forme existentielle (et non un genre littéraire) incluant l'essai et le poème, auquel il a su rendre sa puissance d'« appel de la pensée », au mépris de toute spéculation sur son épuisement historique présumé. Cette reconnaissance incontestable, attestée par le soutien des meilleurs représentants du roman et de la critique internationale (de Louis Aragon à Philip Roth, de Carlos Fuentes à Pietro Citati), par l'attribution de prestigieux prix littéraires (prix Mondello, prix Jérusalem, Common Wealth Award, Nelly-Sachs-Preis, grand prix de l'Académie française...), va pourtant de pair avec la résurgence périodique de controverses liées – pour le meilleur – aux paradoxes et malentendus produits par sa conception exigeante de la littérature, mais aussi – parfois pour le pire – aux situations historiques traversées par le sujet Kundera, pris dans les mailles du « petit contexte » national qu'il brocarde dans Le Rideau (2005).

D'un Kundera l'autre

<it>Risibles Amours</it>, Milan Kundera - crédits : Courtesy Milan Lundera/ D.R.

Risibles Amours, Milan Kundera

Fils d'un musicologue lui-même élève de Janáček, Milan Kundera est le contemporain complexe de la jeune République tchécoslovaque anéantie par les conséquences du traité de Munich, du partage de l'Europe issu de la Seconde Guerre mondiale et des turbulences de la guerre froide. Encarté au Parti communiste en 1947 dans le lyrisme de ses dix-huit ans, deux fois exclu, membre de l'association des écrivains tchécoslovaques, enseignant de cinéma à Prague au moment où fleurit une décennie de détente idéologique et d'effervescence artistique, où une censure allégée tolère la publication de Risibles amours et de La Plaisanterie en 1967, le jeune Kundera est un fin connaisseur de la poésie moderne (Apollinaire, Rimbaud) et du surréalisme européen (Breton, mais aussi son compatriote Nezval). En 1968, l'écrasement du Printemps de Prague met fin à l'espoir que l'« Occident kidnappé » réintègre le socle de la culture européenne dont l'Europe centrale était profondément solidaire à travers ses éminents représentants (Kafka, Broch, Musil). La « normalisation » du régime prépare[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en littérature française à l'université de Lyon II-Lumière

Classification

Pour citer cet article

Martine BOYER-WEINMANN. KUNDERA MILAN (1929-2023) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Milan Kundera - crédits : Louis Monnier/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Milan Kundera

<it>Risibles Amours</it>, Milan Kundera - crédits : Courtesy Milan Lundera/ D.R.

Risibles Amours, Milan Kundera

Autres références

  • L'IGNORANCE (M. Kundera)

    • Écrit par Anouchka VASAK
    • 942 mots

    « Du vraisemblable plaqué sur de l'oublié » : c'est ainsi que Josef, un des personnages du roman de Milan Kundera, conclut l'interprétation d'un souvenir. Que l'on retrouve sous cette expression celle du Rire de Bergson – « du mécanique plaqué sur du vivant » – donne...

  • LA PLAISANTERIE, Milan Kundera - Fiche de lecture

    • Écrit par Milan BURDA
    • 969 mots
    • 1 média

    Achevé le 5 décembre 1965, La Plaisanterie, premier roman de Milan Kundera, écrivain tchèque (1929-2023), n'a été publié en Tchécoslovaquie qu'en 1967, alors que s'annonçaient les prémices du « printemps de Prague », tentative de libéralisation politique qui allait être sévèrement réprimée par l'URSS...

  • EXIL LITTÉRATURES DE L'

    • Écrit par Albert BENSOUSSAN
    • 3 314 mots
    • 6 médias
    ...l'émigration comme « avant tout un endroit sur terre où l'on peut sans se cacher écrire ce que l'on veut et comme on veut ». Mais qui ne se rappelle l'amertume de Milan Kundera reliant d'un seul jet la Tchécoslovaquie à Rennes pour s'isoler en haut de la plus haute tour de la ville et regarder « à l'est, du côté...
  • LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE

    • Écrit par Dominique RABATÉ
    • 7 278 mots
    • 13 médias
    ...L’Idiot de la famille (1971-1972). Le Julien Gracq (1910-2007) de En lisant, en écrivant (1981) surtout tourné vers le roman du xixe siècle, ou le Milan Kundera (1929-2023) de L’Art du roman (1986) s’inscrivent dans cette lignée de théorisation plus ou moins vagabonde qui constitue des arts...
  • MITTELEUROPA

    • Écrit par Jacques LE RIDER
    • 8 392 mots
    • 2 médias
    Dans les années 1980, plusieurs exilés ou dissidents antisoviétiques – György Konrád à Budapest, Milan Kundera et Danilo Kïys à Paris – ont relancé la discussion sur la Mitteleuropa. Le texte de Milan Kundera, d'abord publié à Paris en novembre 1983, est devenu célèbre sous le titre ...
  • POURQUOI ÉCRIRE ? (P. Roth) - Fiche de lecture

    • Écrit par Liliane KERJAN
    • 1 105 mots
    ...de créer quelque chose à partir de rien, d’où une angoisse extrême. » Mais voici Ivan Klíma, qui rend compte de la littérature clandestine tchèque, et Milan Kundera – à qui Roth dédiera L’Écrivain fantôme en 1979 –, présentant la modernité polysémique de l’Europe centrale et son histoire politique....

Voir aussi