MIGRATIONS

Les formes contemporaines de la migration (xix e siècle à nos jours)

Poids des réseaux personnels ou communautaires, importance des axes régionaux, rôle des États et autres institutions, dimension politique, contrôle social : beaucoup des processus qui orientaient les migrations dès la période médiévale restent à l’œuvre de nos jours. La période contemporaine va cependant engendrer des mécanismes migratoires qui lui sont propres.

L’urbanisation

Le premier d’entre eux est l’urbanisation. Les campagnes jouaient jusqu’à l’époque moderne et pour partie au-delà un rôle attractif dans maints bassins migratoires : une industrie rurale active offrait alors des revenus d’appoint (textile) et, pour ses formes les plus lourdes, jouait sur la proximité des sources d’énergie, hydraulique notamment. Or, à mesure que le progrès des transports, les innovations techniques (machines à vapeur), la concentration financière, localisent l’activité industrielle, par ailleurs en forte croissance, dans les cités, les champs migratoires se réorientent prioritairement vers les villes. La population urbaine en Europe, Russie non comprise, passe de moins de 15 % de la population totale en 1800, à 50 % environ en 1913. Durant la même période, le nombre de communes de plus de 20 000 habitants passe de 200 à 2 300 sur le continent. Jointe à la croissance démographique que connaît l’Europe au xix e siècle, l’immigration y contribue largement, à partir souvent de formes anciennes, plus complexes que ne le laisse entendre le modèle simplificateur de l’exode rural. Ainsi, une cité-champignon comme Le Creusot puise l’essentiel de sa main-d’œuvre dans les campagnes environnantes plutôt que dans une attraction massive depuis les campagnes lointaines. Paris croît pour partie par la fixation de migrants temporaires qui, auparavant, jouaient des saisonnalités de l’activité urbaine : les Limousins du bâtiment retournaient chez eux en hiver, faute d’éclairage public ou de bâches de protection des matériaux pour les chantiers. En même temps se constituent de toutes pièces des flux migratoires directement liés aux activités industrielles nouvelles, comme c’est le cas à Roubaix, dans la seconde moitié du xix e siècle, avec l’immigration flamande (plus de la moitié de la population de la ville) suscitée par l’essor du textile.

Lancée par l’industrialisation, l’urbanisation devient cumulative, en créant des réseaux de transport, de communication, d’activité tertiaire, centrés sur des métropoles de plus en plus gigantesques. L’expansion européenne diffuse ce processus outre-mer. La population mondiale compte depuis 2010 une majorité de citadins, le processus s’accélérant dans les continents qui étaient jusque là les moins urbanisés : l’Asie, passée de 18 à 52 % d’urbains depuis 1950, et l’Afrique, de 14 % à 44 %. Le cas de la Chine, avec ses 100 millions de migrants ruraux dont une partie sont clandestins dans les métropoles où ils s’installent, vient rappeler que les migrations internationales, les plus visibles politiquement, ne sont qu’une partie minoritaire des flux de mobilité mondiaux, et que ce sont les migrations intérieures qui prévalent : on estimait à 281 millions en 2020 le nombre de personnes ayant migré d’un pays vers un autre, contre environ 740 millions de migrants intérieurs.

Dans les sociétés occidentales, des formes nouvelles de déplacement compliquent le schéma unilatéral des migrations de travail vers les villes. Bien plus que le mouvement des néoruraux issu des années 1970, spectaculaire mais marginal en nombre, les migrations de retraités sont devenues un facteur majeur de peuplement, en particulier pour les régions côtières ou ensoleillées (Côte d’Azur en France, Sun Belt aux États-Unis). Elles ont pris une dimension internationale, à mesure que les retraités jouent des différentiels dans[...]

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Paul-André ROSENTAL, « MIGRATIONS », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

Médias

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