GRONOWSKI LOUIS (1904-1987)

Communiste internationaliste, Louis Gronowski a été l'une des incarnations des révolutionnaires « sans patrie ni frontières » qui ont lutté pour le triomphe des principes marxistes. C'est dans cette perspective qu'il a joué un rôle majeur pendant la Seconde Guerre mondiale en qualité de premier responsable du triangle directeur de la Main-d'œuvre immigrée (MOI), engagée par le Parti communiste français dans des actions militaires diverses contre les nazis.

C'est dans les années 1920 que la MOI avait été organisée en commissions par le Parti communiste français au temps où « la taupe révolutionnaire cherchait péniblement à creuser ses galeries » (C. Tillon). Les travailleurs immigrés se retrouvaient par « groupes de langues » pour favoriser contacts et propagande. Reconstitués à la fin de 1940 autour d'une nouvelle direction composée de Louis Gronowski (pseudo Bruno), Jacques Kaminsky (pseudo Hervé) et Artur London (pseudo Gérard), les groupes MOI furent, avec les Jeunesses communistes et l'Organisation spéciale, le fer de lance de la résistance armée communiste, grâce notamment à l'expérience des anciens des brigades internationales de la guerre d'Espagne.

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Denis Peschanski a souligné que, pour ce type d'hommes, « les motivations idéologiques étaient primordiales. Le projet révolutionnaire, la défense de l'URSS, patrie du socialisme, de l'utopie réalisée et – précédant souvent en cela le Centre (Moscou) – un profond antifascisme animaient ces militants ».

Né à Radziejöw aux confins de la Prusse, en territoire polonais contrôlé par la Russie, le 21 janvier 1904, Lajb Grojnowski (Louis Gronowski) n'a pas voulu subir la misère dans l'Europe centrale bouleversée par l'antisémitisme, les pogromes, la Grande Guerre, les transferts de population, les crises économiques. En 1920, il devint membre du Parti communiste polonais car la révolution russe lui avait permis de « rêver à une nouvelle société, toute de justice, d'égalité, de bonheur pour les gens du travail ». Dès 1922, il était dirigeant de l'union des jeunesses communistes de sa ville et fit de la prison, pour raisons politiques, de 1924 à 1926.

Émigré à Anvers en 1928, expulsé de Liège, il fut assisté à Paris par le Secours rouge et devint responsable MOI pour le groupe juif.

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Après un séjour sanitaire en URSS (1935), il s'occupa à Paris du premier Congrès mondial de la culture yiddish en septembre 1937. Animé d'une « volonté aveugle de défendre le premier pays socialiste », ce militant supporta – de 1939 à 1941 – le « fardeau de la contradiction » du pacte germano-soviétique. Il fut aussi, pendant toute la guerre, l'un des contacts de Léopold Trepper, chef du réseau d'espionnage soviétique Orchestre rouge, pour qui « Michel » Gronowski était le représentant de la direction du Parti communiste français. Il lui apparut « assez jeune, brun, de taille moyenne, très élégant ». C'est grâce à « Michel » que Moscou fut informé des pertes du réseau Trepper et accepta que les renseignements qu'il continuait à recueillir passent par les liaisons radio du Parti communiste. Ainsi Louis Gronowski fut-il un des éléments du système communiste dans la France en guerre, au carrefour des liaisons entre le Komintern, les services de renseignements de l'URSS et le Parti communiste français. Cependant, sous ses pseudonymes de Bruno, Loulke, Michel, Lerman (l'homme instruit), Louis Gronowski parvint à échapper à toutes les recherches policières. Il appliqua toujours, en liaison avec la commission centrale des cadres, les habitudes de la clandestinité ; les principes de secret – édictés par l'Internationale dès ses débuts – furent ses règles d'or : « Que chaque camarade soit muet sur l'organisation du parti, sur ses militants et sur ce qu'il fait ; toute réunion de plus de trois camarades doit être considérée comme une violation de la discipline. » Malgré la période de coupure avec la direction du Parti communiste, malgré la répression anticommuniste menée conjointement, dès l'automne de 1940, par les polices française et allemande, les groupes MOI furent actifs dans toute la France, isolément ou au sein des Francs-tireurs et partisans (FTP), à partir de février 1942. En 1943 et 1944, des compagnies FTP-MOI entières regroupant des Espagnols, des Italiens, des Polonais, des réfugiés juifs d'Europe centrale, des Tchèques, des Yougoslaves multiplièrent les actions de sabotage et les opérations armées. Parallèlement, des opérations de propagande étaient conduites même en direction des troupes d'occupation : le « travail antiallemand » (TA) passa notamment par des distributions de tracts et de journaux dans les lieux de distraction de la Wehrmacht, mais aussi par des contacts directs assurés surtout par de jeunes femmes – parfois juives – parlant allemand ainsi que par des émigrés antifascistes. En 1944, ce travail déboucha sur des désertions dans la Wehrmacht que quittèrent, en Lozère, des Arméniens et, dans l'Aveyron, des Russes de la légion Vlassov.

Attaquant à l'explosif des garages, des usines, des détachements militaires, les groupes FTP-MOI furent exemplaires dans les actions armées et constituèrent souvent, notamment dans le Sud-Ouest, les noyaux des maquis et brigades FTP. Ils s'illustrèrent jusqu'aux combats libérateurs, particulièrement à Lyon et à Villeurbanne.

L'Affiche rouge - crédits : Buyenlarge/ Archive Photo/ Getty Images

L'Affiche rouge

La guérilla des groupes MOI, au prix de sacrifices sanglants, contribua à l'insécurité des occupants allemands de la France. Le commandant en chef des FTP, Charles Tillon, a souvent salué l'héroïsme de ces « étrangers », qui avaient « sauvé l'honneur de Paris », avec « dans le cœur l'amour du pays qui les avait repoussés, l'amour du pays qui les avait reçus ». L'opération de propagande nazie montée contre le groupe Manouchian avant son exécution, en février 1944, fournit une preuve sinistre de l'efficacité de la MOI.

Les Allemands accusèrent le seul « chef de bande » Manouchian de 56 attentats ayant fait 150 morts et 600 blessés. Plus tard, Aragon chanta, dans « L'Affiche rouge », les « vingt et trois étrangers et nos frères pourtant » dont on s'était servi pour faire peur aux passants « parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles ». Toutefois, au début des années 1980, des critiques s'élevèrent contre la tactique offensive choisie pour les MOI, par leurs dirigeants, à cause de son coût élevé en vies humaines, surtout pour les actions de 1943-1944 où les résistants juifs se sentaient en région parisienne, après les rafles et les déportations, « comme des poissons dans une rivière tarie ». Après la victoire et le retour de beaucoup d'émigrés dans leurs pays respectifs, avec les problèmes des procès staliniens faits aux internationalistes – voir L'Aveu d'Artur London –, avec le choix du Parti communiste français d'exalter « les couleurs de la France », le rôle pionnier des militants et dirigeants de la MOI dans la lutte armée clandestine fut mal perçu.

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De 1949 à 1968, Louis Gronowski revint en Pologne, où il travailla à la section de propagande du comité central, puis dans une maison d'édition. Lassé par l'antisémitisme persistant, cruel et absurde de son pays natal, privé de sa retraite d'officier, il choisit alors de rentrer en France comme apatride, malgré sa Légion d'honneur et sa médaille de la Résistance française. Mais, comme Artur London, Louis Gronowski a gardé sa foi dans le communisme et, malgré ses désillusions, son « lot d'insultes, d'humiliations, de spoliations, de souffrances », il a pu mettre en pratique l'espérance qui animait Michel Manouchian : « Bonheur à tous, bonheur à ceux qui vont survivre et goûtez la douceur de la liberté et de la paix de demain. »

— Charles-Louis FOULON

Bibliographie

S. Cukier, D. Decèze, D. Diamant & M. Grojnowski, Juifs révolutionnaires, Messidor, Paris, 1987

L. Gronowski -Brunot, Le Dernier Grand Soir, un juif de Pologne, Seuil, Paris, 1980 ; Les Juifs dans la Résistance et la Libération, Scribe, 1985

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H. Noguères, Histoire de la Résistance en France (5 t.), Laffont, Paris, 1967-1981

G. Perrault, L'Orchestre rouge, Fayard, Paris, 1967

DPeschanski, Archives de guerre d'Angelo Tasca, CNRS Feltrinelli, Paris-Milan, 1986

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CTillon, On chantait rouge, Laffont, Paris, 1976

AWieviorka, Ils étaient juifs résistants, communistes, Denoël, Paris, 1986 ; éd. aug., Perrin, Paris, 2018.

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Écrit par

  • : docteur en études politiques et en histoire, ancien délégué-adjoint aux célébrations nationales (ministère de la Culture et de la Communication)

Classification

Média

L'Affiche rouge - crédits : Buyenlarge/ Archive Photo/ Getty Images

L'Affiche rouge

Autres références

  • RAYSKI ADAM (1913-2008)

    • Écrit par
    • 876 mots

    Né en Pologne, le 14 août 1913, à Bialystok, Abraham Rajgrodski, fils de commerçant, devient secrétaire de la jeunesse communiste locale. Il émigre à Paris en 1932 et est actif au sein de la Main-d'œuvre immigrée (MOI), dans laquelle le Parti communiste (PCF) rassemble ses militants étrangers....

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