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MILLE & UNE NUITS LES

Le corpus arabe

De l'époque bédouine de ‘Agīb et Ghārīb à la chronique des guerres islamo-byzantines de ‘Umar an-Nu‘mān qui popularise une chanson de geste islamique ; des romans d'amour aux récits de truanderie qui se situent à Bagdad, Bassora et au Caire ; des relations de voyage d'un Sindbād, qui parcourt pour s'enrichir les îles de la Sonde, la Malaisie, l'Inde et l'Asie du Sud-Est, l'Afrique orientale, au voyage merveilleux de Hāsib Karīm al-Dīn, tout l'espace musulman contribue à enrichir le corpus des Mille et Une Nuits. Les textes s'y déposent en strates successives où se déchiffre l'évolution de la cité musulmane. À partir du viiie siècle, Bagdad devient le pôle d'une civilisation que l'on conduit à son apogée. Un art de vivre s'exprime dans les palais somptueux mais aussi dans les marchés, les ports, les faubourgs mal famés et leurs lieux de plaisir. Les milieux raffinés et souvent libertins – celui des zurafā – mettent en place une culture de l'esprit, de l'âme et du corps qui va nourrir les intrigues amoureuses autour de femmes libérées, belles, savantes et artistes. La poésie inspire quelque mille deux cent cinquante poèmes qui font partie intégrante de la structure narrative. Plusieurs noms de l'histoire et de la littérature trouvent place dans les Nuits : les califes Hārūn al-Rašīd, al-Amīn, al-Ma'mūn, al-Mutawakkil ; les vizirs de la grande famille d'origine persane des Baramékides, les poètes Abū Nuwās et Di‘bil, les musiciens Ibrāhīm al-Mawṣilī et son fils Isḥāq... Au demeurant, certains de ces personnages deviennent des mythes et peuvent prendre place dans des récits qui leur sont antérieurs ou postérieurs. Les Mille et Une Nuits se dégagent des références historiques pour s'ajuster en toute liberté à leur légende.

Peu à peu, des contes qui s'étaient développés indépendamment s'incorporent à l'ensemble. La dernière phase de constitution du recueil peut être datée du califat fatimide du Caire. Une sorte de réalisme fait irruption dans l'invention. Artisans, marchands, bateleurs, truands tels ‘Alī al-Zaybaq ou Aḥmad al-Danaf sont mis en scène avec bonheur, et la chronique des marges de la société prend un relief particulier avec Dalīla la Rusée, chef de bande, bien écoutée de la police. Le picaresque des bas-fonds se mêle à une satire sociale pleine d'à-propos. Des fabliaux prennent à parti des fonctionnaires peu scrupuleux ; des apologues mettent dans la bouche d'animaux des considérations et des sentences dignes d'Ésope ou de Luqmān ; elles ne sont pas sans rappeler le Kalīla et Dimna d'Ibn al-Muqaffa'. Ici encore sont narrées les aventures de Ǧawḏar le Pêcheur, de ‘Abd Allāh de terre et ‘Abd Allāh de mer, d'Abū Qir et Abū Sir. La magie n'est pas absente, souvent d'importation maghrébine, et l'usage des talismans est constant. D'une façon générale, l'inspiration reste proche de la vie du peuple. Elle traduit ses rêves, se nourrit de sa sagesse et de son ironie, s'empare de son langage.

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Pour citer cet article

Jamel Eddine BENCHEIKH. MILLE & UNE NUITS LES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • LES MILLE ET UNE NUITS (anonyme) - Fiche de lecture

    • Écrit par Florence BRAUNSTEIN
    • 965 mots

    Les contes arabes anonymes connus sous le titre des Mille et Une Nuits (Alf layla wa layla) forment un ensemble des plus composites. À partir du noyau premier, d'origine persane (avec des emprunts indiens), traduit en arabe au viiie siècle, le texte s'est ramifié en s'adjoignant de nouvelles...

  • CONTE

    • Écrit par Bernadette BRICOUT
    • 5 807 mots
    • 2 médias
    ...en place une société conteuse où divers personnages exercent tout à tour la fonction enviée de narrateur (Le Décaméron, L'Heptaméron). Dans Les Mille et Une Nuits, cette structure en abyme se reproduit à l'infini comme dans les poupées gigognes. Tzvetan Todorov a mis en évidence ce procédé d'...
  • DEUX ANS, HUIT MOIS ET VINGT-HUIT NUITS (S. Rushdie) - Fiche de lecture

    • Écrit par Catherine PESSO-MIQUEL
    • 1 034 mots

    Publié au Royaume-Uni en septembre 2015, Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits (traduit de l’anglais par Gérard Meudal, Actes Sud, 2016) est le dixième roman de Salman Rushdie. Son intrigue peut être perçue comme une version pour adultes de Luka et le feu de la vie, son second conte pour enfants....

  • EXOTISME

    • Écrit par Mario PRAZ
    • 3 485 mots
    • 4 médias
    ...l'exotisme ne va pas en général au-delà du nom des personnages dans les romans à sujet prétendument oriental, souvent à clef ; mais la divulgation des Mille et Une Nuits en France et en Angleterre au commencement du xviiie siècle favorisa l'essor d'un nouveau genre de contes orientaux et de fables d'un...
  • MAGHREB - Littératures maghrébines

    • Écrit par Jamel Eddine BENCHEIKH, Christiane CHAULET ACHOUR, André MANDOUZE
    • 14 200 mots
    • 3 médias
    ...ce désir de partage et de dialogue avec un pan de mémoire prestigieux et actif peut être donné en observant l’espace de création qu’est le recueil des Mille et Une Nuits. En 2005 et 2006, la Bibliothèque de la Pléiade publiait une traduction nouvelle de Jamel Eddine Bencheikh (en collaboration avec André...

Voir aussi