Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LE CONTRAT NATUREL, Michel Serres Fiche de lecture

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par

Auteur d’ouvrages novateurs dans les domaines de la philosophie des sciences et de la communication, Michel Serres (1930-2019) a publié en 1990 Le Contrat naturel, un essai qui a surpris certains de ses lecteurs.

Si l’on était en présence d’un manifeste écologique (mais le mot « écologie » est absent du livre), on pourrait en effet penser qu’avec Le Contrat naturelMichel Serres a changé de route, converti à la mode écologique par ses étudiants californiens de l’université de Stanford où il fut nommé professeur en 1984 et où il enseignera pendant plus de trente ans.

Mais une lecture plus attentive permet d’identifier dans Le Contrat naturel la suite de la quête commencée bien en amont et qui a conduit Michel Serres à méditer sur l’existence du monde globalisé qui est désormais le nôtre. Les principales étapes de cette réflexion se trouvent dans la série des Hermès (publiée entre 1969 et 1980), dans Le Parasite (1980), dans Genèse (1982) ; après Le Contrat naturel, elle se poursuivra avec Le Tiers-Instruit (1991) et Éclaircissements (1992). Ce monde globalisé exige désormais de nous à la fois un renouvellement audacieux de nos catégories intellectuelles et la signature d’un véritable contrat qui lui reconnaisse le statut de sujet de droit.

Michel Serres - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

Michel Serres

Il est vrai que nos sciences tâtonnent parce qu’elles sont analytiques et parcellaires, et donc peu aptes à raisonner sur le global. Mais il serait suicidaire de différer nos actions dans l’attente de plus grandes certitudes. Avec ce « contrat naturel », Michel Serres nous propose un pari de type pascalien : « Si nous jugeons nos actions innocentes et que nous gagnions, nous ne gagnons rien, l’histoire va comme avant ; mais si nous perdons, nous perdons tout. »

L’oubli du Monde

Nos grands philosophes ont placé la notion de contrat, au sens premier comme au sens métaphorique, au cœur de leurs réflexions. Qu’il s’agisse du contrat social pensé par Rousseau ou de la dialectique du Maître et de l’Esclave analysée par Hegel, seuls ont retenu l’attention les conflits opposant « l’homme de la Lutte » à son semblable, pour reprendre le concept de Michel Serres. En procédant de la sorte, nos philosophes ont oublié le Monde, ce qui n’était pas scandaleux tant que nous vivions entre les frontières bien délimitées des familles, des groupes, des nations, mais qui s’avère absurde sitôt qu’on se situe dans une réalité aux dimensions de la planète.

Le Contrat naturel s’ouvre sur la description d’un tableau de Goya, Duel à coups de gourdin : « Un couple d’ennemis brandissant des bâtons se bat au beau milieu des sables mouvants [...] À chaque mouvement, un trou visqueux les avale, de sorte qu’ils s’enterrent ensemble graduellement. À quel rythme ? Cela dépend de leur agressivité […] » Nulle image ne saurait mieux faire ressentir la situation de l’humanité contemporaine : pendant que nous luttons les uns contre les autres, nous restons aveugles au monde qui nous entoure et qui est sur le point de nous engloutir en raison de nos négligences.

Mais le jeu se joue dorénavant à trois, non plus dans un espace local, mais dans un environnement global qui détermine davantage l’issue du combat que les accords particuliers entre les protagonistes. Ceux-ci resteront vides de sens si nous demeurons incapables de signer un contrat de symbiose entre la Terre dans sa globalité et les acteurs humains qui y mènent des actions aux effets eux-mêmes globaux.

De naïfs reproches ont été adressés à Michel Serres, avançant que la nature en tant que telle n'était évidemment pas en mesure de procéder à la signature d’un contrat. Le philosophe a malgré tout tenu à répondre à cette objection. D’une part, en se sentant contraint d’affirmer qu’il n’était « ni si sot ni si animiste pour penser que la nature est une personne » (discours du 4 mai 2006 à l’Institute of the Humanities de l’université[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

Classification

Pour citer cet article

Philippe GRANAROLO. LE CONTRAT NATUREL, Michel Serres - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 19/10/2022

Média

Michel Serres - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

Michel Serres