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L'HOMME QUI TUA LIBERTY VALANCE, film de John Ford

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« Print the Legend » : l'histoire entre mythe et nostalgie

Le film adopte une tonalité réflexive, sur plusieurs plans. La structure en flash-back, banale en elle-même, sert ici à amplifier le renversement du statut des personnages (l'anonyme devient le héros). Les journalistes, qui veulent d'abord la vérité nue, sont finalement convaincus par le politicien que le mythe reste préférable ; la morale est similaire à celle d'un film de Ford consacré à une autre personnalité légendaire, le colonel Custer (Le Massacre de Fort Apache, 1948). Enfin, le voyage de l'homme de loi devenu homme politique est motivé par l'hommage à un défunt, qui fut mentor, ami, modèle inaccessible de Stoddard, et amoureux malchanceux de Hallie ; d'ailleurs ce voyage en train renvoie dans un passé lointain à l'arrivée du héros en diligence. Le film est ainsi placé sous le signe d'une mélancolie générale, qui excède la donnée biographique (le réalisateur avait près de soixante-huit ans), et manifeste un sentiment de perte – mais ambigu, car les héros repartent avec la promesse d'une communication par-delà la mort. Tonalité éminemment fordienne, celle du recueillement sur la tombe de l'être aimé, depuis le jeune Lincoln de Vers sa destinée (Young Mr. Lincoln, 1939) jusqu'aux personnages incarnés par John Wayne dans La Charge héroïque (She Wore a Yellow Ribbon, 1949) ou La Prisonnière du désert.

Ford était passionné par l'Histoire ; il ne cacha jamais son engagement politique, à l'américaine, fondé sur le patriotisme : on sait qu'il dirigea durant la guerre le service cinéma de l'Office of Strategic Services (l'O.S.S., qui deviendra la C.I.A.) et fit ensuite plusieurs films de propagande. Il intègre au récit, plus nu, de la nouvelle qu'il adapte une perspective sur l'histoire de son pays, par la référence à un thème connu de l'histoire de l'Ouest, le conflit des petits fermiers et des grands éleveurs. Il lui intègre aussi sa conception de toujours de la loi, celle du jeune Lincoln lecteur de Blackstone : une technique pragmatique pour éviter les conflits, autant qu'une application de la loi naturelle ou divine. Il donne ainsi, à ce récit d'un mythe supérieur à la réalité, un arrière-fond également mythique.

C'est un film somme, sans doute bien plus typique de son auteur que ses tout derniers (même s'ils sont magnifiques). On raconte que, au tournage, John Ford passait son temps ostensiblement à manger des ice-creams et semblait se désintéresser de tout. Il en était parvenu au stade suprême de sa maîtrise singulière, qui lui avait valu tant de succès auprès des producteurs, lui permettant de monter le film « dans sa tête », sans tourner un mètre de pellicule de trop. Par ce film, il coïncide, lui aussi, avec son propre mythe.

— Jacques AUMONT

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, directeur d'études, École des hautes études en sciences sociales

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Pour citer cet article

Jacques AUMONT. L'HOMME QUI TUA LIBERTY VALANCE, film de John Ford [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

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