KENYA

Nom officiel République du Kenya
Chef de l'État et du gouvernement William Ruto - depuis le 13 septembre 2022
Capitale Nairobi
Langue officielle Swahili , Anglais
Population 55 339 003 habitants (2023)
    Superficie 580 370 km²

      Du Kenya, on peut tirer d'admirables cartes postales : longues plages de sable blanc ; sommets neigeux du mont qui donne son nom au pays : le Kirinyaga (plusieurs fois déformé avant de devenir Kenya) ; vives antilopes dans la savane ; puissants éléphants dans un cours d'eau ; sans parler des pasteurs peinturlurés pour l'agrément des touristes... Mais, par-delà la richesse et la beauté, très réelles, de ses paysages, le Kenya, produit d'une histoire millénaire où l'humanité trouva l'un de ses berceaux, est aussi une terre de rencontres et d'affrontements dont l'aboutissement fut une mosaïque culturelle ; un pays colonisé, brutalement et totalement, au mépris des peuples qui l'habitaient ; un mouvement nationaliste qui déclencha, si pauvrement que ce fut, la première lutte armée africaine pour l'indépendance ; un État indépendant qui se débat dans les rets de la dépendance et dans ses contradictions sociales internes.

      Kenya : carte physique - crédits : Encyclopædia Universalis France

      Kenya : carte physique

      Kenya : drapeau - crédits : Encyclopædia Universalis France

      Kenya : drapeau

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      Au Kenya, tout semble s'opposer, les paysages et les hommes. Pourtant, beaucoup de choses unissent la société qu'il porte aujourd'hui : des valeurs et des morales en mutation ; un système politique original laissant une certaine place à la communication entre dirigeants et dirigés ; un dynamisme social qui peut engendrer aussi bien l'esprit d'entreprise que la révolte contre l'injustice. Mais ce bouillonnement porte les stigmates de la colonisation et n'est pas encore parvenu à réaliser l'épanouissement des hommes.

      Géographie et économie

      La géographie du Kenya oppose de manière très claire le « Kenya utile », au sud-ouest, en altitude, peuplé, productif, au Kenya marginal des plaines désertiques, sous-peuplées et faiblement productives du nord-est. La mise en valeur coloniale est largement responsable de cette opposition.

      Topographie et peuplement

      Contraignant largement la géographie du Kenya, la topographie résulte en grande partie des effets combinés de la tectonique des plaques et du volcanisme effusif. À partir de l'ère secondaire, le soubassement précambrien de l'ouest du pays a été progressivement rehaussé à environ 1 000 mètres d'altitude, fracturé notamment par l'ouverture du rift oriental et par endroits recouvert d'effusions volcaniques qui forment bourrelets (Mau Escarpment, Ngong Hills, Aberdares) ou de plateaux (Laikipia plateau, plaine massaï) parfois surmontés d'appareils volcaniques complexes (mont Kenya, mont Elgon). La topographie oppose les basses terres, qui occupent les trois quarts septentrionaux et orientaux du territoire national, aux hautes terres de plus de 1 100 mètres d'altitude, situées dans le quart sud-ouest du pays. Ces hautes terres forment deux bastions séparés par l'accident méridien du rift. Celui-ci est bordé d'escarpements violents, atteignant parfois plus de 1 000 mètres de commandement (comme l'escarpement Marakwet séparant les Cherangani Hills de la Kerio Valley) et rythmé de lacs étroits et profonds (Turkana, Baringo, Bogoria, Nakuru, Eleimenteita, Naïvasha et Magadi du nord au sud) et de volcans (Menagaï, Longonot, Suswa). L'altitude altère les températures équatoriales et l'aridité des basses terres. En effet, les hautes terres bénéficient de températures relativement fraîches (moyenne annuelle de 25 0C à Nairobi) et de totaux pluviométriques souvent supérieurs à 1 000 mm par an, alors que les basses terres chaudes (30 0C à Garissa) reçoivent moins de 600 millimètres de pluie par an. Les terres comprises entre 1 137 mètres (altitude du lac Victoria) et 2 500 mètres offrent donc les conditions écologiques les plus agréables pour l'installation humaine grâce aux effets combinés de la luminosité équatoriale et d'une température relativement égale et clémente. De plus, au-delà de la saisonnalité marquée des pluies (deux saisons des pluies, en novembre et en avril-mai) imposée par le passage de la convergence intertropicale, la régularité de ces averses d'altitude entretient l'humectation quasi constante des sols. À partir de 1 550 mètres, la disparition de la trypanosomiase et surtout du paludisme rend l'installation humaine plus facile. L'écologie montagnarde apparaît donc déterminante pour expliquer la fertilité des milieux originellement forestiers mais aujourd'hui largement défrichés et mis en culture. L'ensemble de ces conditions explique la corrélation forte entre topographie et peuplement, au profit des reliefs et des abords du lac Victoria. En effet, s'il est un pays où la densité moyenne nationale (68,7 hab./km2) ne signifie rien, c'est bien le Kenya. Des solitudes des basses terres arides du nord aux pentes peuplées du mont Kenya, la vigueur des gradients démographiques et leur corrélation avec l'altitude étonnent le géographe. Grossièrement, deux ensembles de hautes terres, très peuplées (les densités rurales dépassent souvent 600 hab./km2), situées dans le quart sud-ouest du pays et séparées autant qu'unies par la fracture méridienne de la vallée du Rift, sont entourés, au nord et à l'est, par de basses terres désertes. La répartition du peuplement s'appuie sur la différenciation écologique en opposant la concentration sur les hautes terres à la dispersion irrégulière dans les basses terres.

      Vallée du Rift, Kenya - crédits : 

The Image Bank/ Getty Images

      Vallée du Rift, Kenya

      Flamants roses dans le Parc national du lac Nakuru, Kenya - crédits : Winfried Wisniewski/ The Image Bank/ Getty Images

      Flamants roses dans le Parc national du lac Nakuru, Kenya

      Une structure foncière fragile

      Ce contraste s'appuie également sur les héritages, notamment fonciers, de la colonisation. En effet, la colonisation de peuplement a inscrit durablement dans le paysage le dualisme des structures foncières qui oppose une majorité de petites exploitations paysannes, porteuses des fortes densités, à quelques milliers de grandes exploitations héritières des estates des anciennes white highlands ; si les premières emploient l'immense majorité des ruraux et nourrissent la population, les secondes participent aux performances macroéconomiques du pays et à son attractivité sur les investisseurs internationaux. Après l'indépendance, malgré le lotissement d'un certain nombre de ces grands domaines, les deux tiers d'entre eux ont été rachetés par la bourgeoisie noire dans le cadre d'une politique clientéliste financée par le Royaume-Uni ; le dualisme foncier a donc perduré et détermine en partie les contrastes de peuplement. Ces contrastes fonciers fondent des contrastes sociaux très violents, d'autant que la très forte croissance démographique (2,5 % par an), quoique ralentie depuis les années 1980, accélère le fractionnement des exploitations agricoles. Dans de nombreuses régions, celles-ci ont atteint les limites de leur viabilité économique. Dans la province centrale, en pays kamba, en pays gisii, la taille moyenne des exploitations atteint parfois moins de 1 hectare. La survie de telles exploitations dépend moins de l'activité agricole qui y est exercée que des mécanismes d'ajustement déployés par le groupe familial. Si, dans les zones les plus peuplées, la saturation foncière bloque souvent l'extension des exploitations, dans certains districts moins densément peuplés, le défrichement et la mise en culture des bas-fonds, des marais, des réserves forestières d'altitude ou de basses plaines plus sèches permettent, à court terme, la survie des exploitations et des paysans. Les voies de l'intensification agricole sont multiples, allant de la conversion vers l'horticulture ou le maraîchage à haute valeur ajoutée pour les exploitations les plus progressistes ou vers le vivrier marchand et l'élevage laitier pour nourrir les grands centres urbains. La multiactivité artisanale, commerciale constitue une autre voie ouverte à la survie des ruraux. Une autre solution à la survie de ces microfundia repose sur la mobilité et la circulation de certains des membres de la famille étendue : l'exode rural vers les petites villes et vers Nairobi, les allers-retours entre la ville et la campagne autorisés par l'intensification des moyens de communication routiers, les ressources de la coprésence virtuelle autorisée par le succès foudroyant de la téléphonie mobile favorisent le chevauchement géographique et entretiennent l'illusion de campagnes vivantes.

      Aussi le pays est-il une énigme paradoxale. « Vitrine de l'économie libérale ou poudrière ? Le Kenya est les deux à la fois » (J. P. Raison). Le Kenya est vraiment un État en transition entre la misère des PMA (pays les moins avancés) et l'espoir des pays émergents, un quasi-modèle à l'échelle africaine. Mais, dans le même temps, la rapacité prédatrice de ses élites, la violence et l'insécurité chroniques qui minent tous les rapports sociaux et interdisent la moitié du territoire à la circulation, la contradiction entre la croissance démographique et la rétraction inéluctable de ses ressources naturelles inquiètent.

      Un pays en transition

      Le Kenya est un État moyen, tant par la taille ou le poids démographique (582 000 km2 et 40 millions d'habitants en 2010) que par le poids économique et le rayonnement diplomatique. Il n'appartient pas aux catégories tranchées des PMA, des pays émergents ou des nouveaux pays industrialisés, puisque son indicateur de développement humain (0,541) le classe à la modeste 147e place du palmarès mondial en 2009, et qu'un PIB par habitant de1 600 dollars (2009) l'inscrit dans le groupe des économies préémergentes.

      Après avoir détenu, dans les années 1970, le record de l'indice synthétique de fécondité (8 enfants par femme en 1980), la diffusion et l'adoption rapides de mesures contraceptives, portées par l'éducation des femmes et la taille relativement étoffée des classes moyennes urbaines et rurales, ont fait reculer ce chiffre à environ 4,38 enfants par femme en 2010. Le régime démographique est celui d'une société en pleine transition, dont la natalité est en baisse, comme la mortalité, malgré la prévalence élevée du sida (7,4 % chez les adultes âgés de 15 à 49 ans ; responsable de 150 000 morts par an) qui a entraîné un recul de l'espérance de vie à la naissance. De même, la répartition de la population montre un pays en pleine transition urbaine puisque, entre 1980 et 2008, la part des urbains est passée de 12 % à 22 %. Caractéristique des économies en transition, l'urbanisation des hommes et des espaces associée à la densification du maillage administratif et à la diversification de la structure économique singularise le Kenya d'une Afrique orientale encore largement rurale.

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      Aussi, à l'échelle africaine, le Kenya possède-t-il une économie relativement puissante (PIB de 30 milliards de dollars en 2009), qui a toutefois pâti de la crise économique mondiale de 2008-2009. Il constitue le moteur économique de l'Afrique orientale et les performances ainsi que les exigences de ses entrepreneurs pèsent sur la construction régionale dans le cadre de l'East African Community (organisation qui, outre le Kenya, associe la Tanzanie, l'Ouganda, le Burundi et le Rwanda ; pour le moment association de libre-échange imparfaite, elle ambitionne de devenir une Union politique). L'économie kenyane pèse d'autant plus que, rompant avec la frilosité diplomatique de l'ère Moi (1978-2002), les leaders de la transition démocratique cherchent à toucher les dividendes politiques et diplomatiques de cette position économique dominante du Kenya dans son environnement sous-régional. Signe de cette compétitivité relative, la Bourse de Nairobi, insignifiante à l'échelle mondiale, est la plus importante d'Afrique intertropicale.

      Cette appartenance aux économies en transition a des conséquences paradoxales. D'un côté, le Kenya en pâtit puisqu'il n'a pas droit à certaines aides. Ainsi n'a-t-il pas pu bénéficier des annulations de dettes accordées aux pays endettés les plus pauvres, dont ses voisins l'Ouganda et la Tanzanie. Cependant, son statut lui permet de bénéficier d'initiatives intéressantes en termes de développement comme l'African Growth and Opportunity Act (AGOA) nord-américaine (accord qui autorise les entreprises textiles à vendre leurs productions sans taxe sur le marché américain) et, surtout, malgré un « risque-pays » élevé pour des raisons politiques, d'attirer nombre d'investissements internationaux. En effet, la présence d'une main-d'œuvre urbaine ou périurbaine nombreuse et peu onéreuse, d'une classe moyenne éduquée relativement étoffée et qualifiée, le rayonnement de l'économie kenyane, le niveau relativement correct – pour la région – des équipements et infrastructures attirent des manufacturiers en provenance des capitalismes périphériques, Afrique du Sud, Inde, Asie du Sud-Est, Golfe et Moyen-Orient notamment, mais aussi Chine.

      Une économie dynamique mais dépendante

      Plantation de thé au Kenya - crédits : Tuul & Bruno Morandi/ The Image Bank Unreleased/ getty Images

      Plantation de thé au Kenya

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      La contribution des trois secteurs dans le PIB est respectivement de 21,4 %, 16,3 % et 62,3 % et, dans la structure de la main-d’œuvre, de 75 % pour l’agriculture et de 25 % pour l’industrie et les services. Contrairement à certains de ses concurrents africains (Congo, Botswana, Namibie), les performances du Kenya ne reposent pas sur sa richesse minière ; ici point de scandale géologique. Pas ou très peu de minerais, hormis l'exploitation du sel à Magadi – destiné à l'exportation pour l'industrie du verre japonais – et, depuis 2005, du titane, exploité par un consortium canadien, à Kwale. L'assise économique repose sur le secteur agro-exportateur. Historiquement, l'économie est tirée par le café et le thé, deux cultures introduites par les colons sur de grandes plantations. Cependant, le café et le thé ont aussi été adoptés par les petits planteurs africains après le plan Swynnerton de 1954, réponse développementaliste aux doléances des insurgés mau-mau. Au cours des années 1980-1990, les déboires du secteur caféier, la bonne résistance du thé, l'émergence de l'horticulture et du maraîchage de contre-saison à destination de l'Occident ont modifié la hiérarchie agricole. Ce primat agricole se manifeste dans l'extrême sensibilité de l'économie aux aléas climatiques, en particulier aux sécheresses régulières. L'économie kenyane est ainsi prise entre la contrainte climatique, celle de la variation des cours mondiaux et celle de la gestion des filières rentières par un secteur coopératif prédateur. Ainsi, alors que le café kenyan est l'un des plus chers au monde, la part qu'en retirent les petits caféiculteurs ne correspond qu'à 20 % du cours mondial.

      L'économie du pays repose aussi sur une industrie de biens de consommation courante étoffée et tournée vers le marché sous-régional, sur une situation d'intermédiaire logistique entre l'océan Indien et un vaste hinterland qui s'étend jusqu'à Kisangani en République démocratique du Congo, Djouba au Soudan du Sud et Kigali au Rwanda, régions dont les crises humanitaires à répétition dynamisent l'économie kenyane. Les flux de marchandises qui transitent par l'aéroport international Jomo Kenyatta de Nairobi ou par le port de Mombasa montrent combien cette fonction logistique et la situation de transit contribuent aux performances économiques et à la structuration spatiale du Kenya. Le secteur touristique (1,47 million de visiteurs en 2005), qui met en valeur des sites balnéaires et animaliers et des équipements réputés sur le marché mondial, contribue pour le tiers des rentrées de devises du pays. Au total, les principaux pourvoyeurs de devises du pays sont le tourisme et les exportations de thé et de café.

      Aussi, comme la plupart des États africains, autant le Kenya compte peu sur le marché mondial, autant ses relations avec ce dernier ont d'importance pour lui. Son économie montre un taux d'ouverture important et une grande dépendance, par rapport aux cours des matières premières agricoles surtout, mais aussi des produits pétroliers (le tiers des importations), et enfin par rapport à la volatilité du tourisme. Les variations des cours mondiaux du café et du thé ont une incidence directe sur la santé économique du pays et de ses habitants. Qu'une gelée trop brutale affecte la production caféière brésilienne et les producteurs kenyans d'arabica bénéficient de prix confortables ; que la réputation et l'image du pays soient entachées par des échauffourées politiques comme en 1996 ou des nettoyages ethniques brutaux comme en janvier 2008, et le tourisme s'effondre, privant le pays d'une source de devises importante. En janvier 2008, après une semaine de conflits postélectoraux, 120 000 personnes ont été licenciées dans le secteur touristique.

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      L'économie est également dépendante de l'aide internationale (800 millions de dollars par an) et des subtils rapports entre la communauté internationale et le pouvoir. Les variations du volume de l'aide et les conditions mises par les bailleurs de fonds, en fonction de leurs représentations géopolitiques, font de ces généreux contributeurs des partenaires essentiels de la construction géographique kenyane. En effet, le rythme de la croissance économique, déterminant des variations de la pauvreté, dépend en partie de la régularité des flux monétaires entrants. Si les bailleurs, mécontents de la classe politique kenyane quant à leurs demandes d'ajustement et de normalisation politique (comme à la fin de l'ère Moi ou lors des violences postélectorales de 2008), décident de surseoir à leurs engagements, la croissance économique passe sous la croissance démographique, amorçant un cycle de paupérisation relative. À l'inverse, les espoirs mis dans la transition politique de 2002 avaient incité les bailleurs à une certaine générosité qui a contribué à l'embellie économique du premier quinquennat du président Kibaki (réélu en 2007). Par ailleurs, la canalisation d'une partie importante de l'aide sur des projets de développement localisés accentue les différenciations géographiques internes. L'ingérence humanitaire, écologique, économique des bailleurs participe donc directement à la construction de l'espace kenyan.

      Une société inégalitaire et violente

      Un des principaux contrastes qui façonne la personnalité géographique du Kenya est d'ordre culturel et géopolitique. Trois groupes ethnolinguistiques principaux se distinguent :

      – les locuteurs bantous (Kikuyu, Kamba, Taïta, Meru, Embu, Kisii et Luyia) ;

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      – les locuteurs nilotiques des plaines (Jie, Turkana, Samburu, Massaï), des hautes terres (Pokot, Elgoyo, Marakwet, Nandi, Kipsigis) et des rivières (Luo) ;

      – les locuteurs couchitiques (Somali, Boran, Rendille).

      À partir des années 1900, pour imposer la Pax Britannica, les administrateurs coloniaux ont figé et instrumentalisé les différenciations culturelles à des fins de contrôle politique et territorial. La libéralisation politique des années 1990, imposée en grande partie par les bailleurs, a renforcé la polarisation des identités ethniques, notamment à des fins électorales. Cette ethnicisation repose sur la survalorisation de quelques marqueurs génériques : circoncision, excision, accentuations linguistiques, maîtrise du swahili standard, utilisation de l'anglais. La maîtrise territoriale, à travers la délimitation administrative et la sécurisation foncière, joue un rôle essentiel au renforcement des conflits interethniques. Le caractère structurant de ce rapport des hommes à la terre à l'échelle des exploitations agricoles, des groupes ethniques et des circonscriptions administratives a été instrumentalisé par les pouvoirs successifs depuis l'indépendance. Les opérations de lotissements fonciers aux dépens des grandes plantations ou des forêts classées constituent des moments de tension et le moyen pour le pouvoir d'assurer sa base clientéliste. Cependant, ces espaces de desserrement démographique, objet de toutes les convoitises, accueillent des vagues de migrations en provenance de noyaux ethniques différents et constituent des arènes de compétition foncière et politique, théâtre à chaque élection de conflits violents, meurtriers. La cohérence entre le maillage administratif, la cristallisation identitaire, la structuration partisane voire les affiliations électorales et l'espace vécu font de la carte administrative une clé de compréhension de la géopolitique du Kenya contemporain.

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      Celle-ci est également sous-tendue par l'acuité des contrastes sociaux. En effet, le développement économique creuse l'écart entre les revenus et construit une société inégalitaire dans laquelle les 10 % les plus riches profitent de 37 % des revenus tandis que le dixième le plus pauvre ne s'en partage que 2 %. Ces inégalités jouent à plusieurs échelles, nourrissant une frustration et une violence qui marquent tous les rapports sociaux. Les ravages du banditisme, de la délinquance, des déviances multiples (alcoolisme, consommation de drogues), des violences domestiques (meurtres, incestes, femmes battues, etc.), de la prostitution féminine « de survie » et la prolifération des sectes religieuses sont autant de signes de la violence de ces inégalités et des réponses que tente de lui apporter la société kenyane. Dans ce contexte, les manipulations électoralistes et partisanes n'en sont que plus faciles pour les politiciens et hommes d'affaires véreux qui recrutent aisément leurs milices parmi ces laissés-pour-compte de l'émergence.

      Girafes dans le Parc national de Masai Mara, Kenya - crédits : Adria  Photography/ Moment/ Getty Images

      Girafes dans le Parc national de Masai Mara, Kenya

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      Au total, quatre éléments structurent le pays : l'archipel urbain dominé par le carrefour sous-régional de Nairobi et le port de Mombasa ; les terroirs productifs – localisés sur les hautes terres ; les espaces du desserrement démographique aux périphéries de ces bastions et les marges ignorées. S'ajoute ici l'archipel touristique constitué des stations balnéaires autour de Mombasa, Kilifi, Malindi, et des espaces protégés, au premier rang desquels les parcs animaliers saturés et surexploités de Amboseli, Massaï Mara et Samburu. Les autres parcs, quoique plus étendus, sont situés dans des régions mal contrôlées par l'État ou trop à l'écart des circuits touristiques organisés pour être visités, exploités et rentables. L'épine dorsale du pays est donc constituée par le corridor logistique qui, de Mombasa vers le lac Victoria et la frontière ougandaise, traverse les principaux centres du pays, au premier rang desquels Nairobi mais aussi Nakuru, Eldoret et Kisumu sur le lac Victoria. Elle est tangente aux principaux foyers de peuplement et de production de matières agricoles : pays kikuyu, embu, meru, kisii, luya et centre de la vallée du Rift. Elle traverse sans les développer les espaces vides qui séparent le littoral des hautes terres, elle ignore la moitié nord du pays. Dans le nord, le contrôle territorial exercé par l'État et l'insertion dans le système économique dominant sont moindres que dans le Sud.

      Aussi les défis du futur sont nombreux. Celui de réussir l'inéluctable transformation du paysan en agriculteur au moindre coût social et environnemental est sans doute le plus pressant. Comment améliorer les performances agricoles sans accroître le nombre de paysans sans terre et conduire trop de ruraux au désespoir déjà très présent dans les campagnes du pays ? Comment mener cette modernisation agricole au moindre coût environnemental, et préserver forêts et savanes qui abritent une faune nécessaire au tourisme ? Comment, dans les espaces urbains qui attirent de plus en plus de monde, donner du travail et fournir un logement décent à tous ? La question centrale à laquelle est confronté le Kenya est bien de nature politique puisqu'il s'agit de préserver les conditions de la croissance en élargissant la distribution de ses dividendes à une population toujours plus nombreuse et exigeante.

      — Bernard CALAS

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      Écrit par

      • : professeur de géographie à l'université de Bordeaux-III-Michel-de-Montaigne
      • : directeur de recherche, Fondation nationale des sciences politiques (C.E.R.I.)
      • : maître ès géographie
      • : maître de conférences en sciences politiques, université de Pau et des pays de l'Adour
      • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

      Classification

      Médias

      Kenya : carte physique - crédits : Encyclopædia Universalis France

      Kenya : carte physique

      Kenya : drapeau - crédits : Encyclopædia Universalis France

      Kenya : drapeau

      Vallée du Rift, Kenya - crédits : 

The Image Bank/ Getty Images

      Vallée du Rift, Kenya

      Autres références

      • KENYA, chronologie contemporaine

        • Écrit par Universalis
      • AFRIQUE (Histoire) - Les décolonisations

        • Écrit par
        • 12 429 mots
        • 24 médias
        Dans tous les autres territoires de l'Afrique de l'Est, la « question blanche » rendit les changements difficiles et douloureux. En 1952, leKenya fut le théâtre d'une des plus importantes révoltes africaines contre la présence coloniale, connue sous le nom de révolte des Mau-Mau. Elle éclata chez...
      • AFRIQUE NOIRE (Culture et société) - Littératures

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        • 2 médias
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      Voir aussi