Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

CLAUSEWITZ KARL VON (1780-1831)

De la guerre

Penser la guerre

La théorie

Apparemment, toute guerre est chaos, désordre incompréhensible. Essentiellement, la guerre est ordre, calcul. La théorie de la guerre permet de retrouver, sous l'apparence du désordre, la vérité de l'ordre qui éclaire l'origine et le cours d'une guerre, ainsi que le désordre dans lequel elle se manifeste.

Chaque guerre est originale ; pour gagner une guerre, il faut la penser dans le cadre de ses caractères particuliers. Toutes les guerres ont des traits communs que la théorie interroge. Une guerre n'est pas un phénomène opaque, elle peut être éclairée sous trois angles : politique (pourquoi combat-on ?), stratégique (comment combat-on ?), social (qui combat ?). Dans toute guerre se retrouvent ces trois aspects. Clausewitz constate qu'ils varient ensemble : la révolution bourgeoise (sociale et politique) est accompagnée d'une révolution dans la stratégie militaire. La liaison de ces trois aspects se manifeste dans l'unité de l'acte de guerre.

Toute guerre a un commencement et une fin : victoire, défaite ou trêve (pouvant devenir paix dans un équilibre des forces supposées). L'importance d'une bataille ne dépend pas seulement de son ampleur, des gains et des pertes matériels, mais d'abord et essentiellement de sa place dans l'ensemble de la guerre (ou acte de guerre), de sa capacité d'entraîner la fin de la guerre (exemple : Valmy). Dans la guerre, l'importance des facteurs que Clausewitz nomme moraux (idéologiques, politiques, sociaux) est extrême, mais ce rôle, comme celui de la bataille, doit être compris dans l'acte de guerre considéré dans son ensemble ; les facteurs moraux jouent dans la mesure où ils avantagent un adversaire par rapport à l'autre : « La guerre est une lutte qui consiste à sonder les forces morales et physiques au moyen de ces dernières. »

Pour juger de l'importance des batailles et de la puissance des forces matérielles et morales, il faut considérer l'acte de guerre dans son entier. Cette vision globale s'intitule stratégie. La tactique est l'art d'organiser et de disposer ses forces pour gagner une bataille. La stratégie est l'art de mobiliser ses forces, d'organiser et de disposer ses batailles pour gagner la guerre.

Théorie et pratique stratégique

Un état-major exprime sa stratégie à travers son plan de guerre et sa conduite des opérations. La pratique stratégique doit établir un bon plan de guerre, elle suppose une « virtuosité naturelle ». La théorie peut éclairer mais non remplacer la pratique stratégique : « Ce que fait le génie, voilà la plus belle de toutes les règles, et ce que la théorie peut faire de mieux, c'est montrer pourquoi et comment il en est ainsi. »

Entre théorie et pratique, point d'infranchissable fossé : un chef militaire délibère (bien ou mal), calcule ses forces et celles de l'ennemi ; la théorie établit les catégories générales de ce calcul et de cette délibération. « Il n'y a pas d'activité de l'intelligence humaine sans une certaine quantité de notions, et ces notions pour la plupart ne sont pas innées mais acquises et constituent notre savoir. » Pratique et théorie parlent la même langue. Le stratège considère l'ensemble des batailles dans une guerre, le théoricien compare l'ensemble des guerres. Par là, ce dernier peut définir les caractères généraux et les traits distinctifs des différents types de guerre et de stratégie.

Le caractère distinctif des guerres, qui les sépare d'autres relations entre nations ou classes, c'est l'usage de la violence ; l'épreuve de force s'affirme principal moyen de trancher et d'emporter la décision : « En guerre, on ne dispose que d'un seul moyen, l'engagement. » Qu'il soit recherché immédiatement (stratégie offensive) ou qu'il soit volontairement[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

André GLUCKSMAN. CLAUSEWITZ KARL VON (1780-1831) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ARMÉE - Doctrines et tactiques

    • Écrit par Jean DELMAS
    • 8 017 mots
    • 3 médias
    L'analyste le plus perspicace de la période 1792-1815 est Karl von Clausewitz, qui en tira une théorie de la guerre dont l'influence persiste encore au xxe siècle. Dépassant le cadre des doctrines militaires proprement dites, cette réflexion sur la nature de la guerre débouche sur une philosophie...
  • ARON RAYMOND (1905-1983)

    • Écrit par Bernard GUILLEMAIN
    • 6 092 mots
    Tout cela conduisait Raymond Aron à écrire Penser la guerre, Clausewitz (Paris, 2 vol., 1976). Lui-même s'est étonné de n'avoir pas produit plutôt un Marx. Il avait longuement médité sur Marx et il en avait dénoncé les contrefaçons dans un essai brillant, D'une sainte famille à l'autre....
  • GUÉRILLA

    • Écrit par Pierre DABEZIES
    • 8 221 mots
    • 5 médias
    La Révolution française change nombre de données. Fondée sur une idéologie radicale et bientôt conquérante, non seulement elle suscite des réactions vives – on pense encore à la Vendée –, mais elle transforme les règles du jeu guerrier. Les vieilles armées sont submergées par ces forces d'un genre...

Voir aussi