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GRIS JUAN (1887-1927)

La mathématique picturale

<it>Guitare et journaux</it>, J. Gris - crédits :  Bridgeman Images

Guitare et journaux, J. Gris

De 1912 à 1916, Gris poursuit ses recherches avec une ardeur et dans une indépendance d'esprit rares. Sa situation matérielle est assurée : il a signé un contrat d'exclusivité avec D.-H. Kahnweiler, son futur biographe ; ses envois à la Section d'or sont remarqués, les collectionneurs s'intéressent à lui.

C'est une période d'intense création, pendant laquelle la contribution du peintre au développement du cubisme synthétique est capitale. Dès la seconde moitié de l'année 1912, emboîtant le pas à Picasso, il incorpore à sa toile La Table de toilette (collection de la vicomtesse de Noailles, Paris) des bandes de papier collé et même des morceaux de glace. Entre ses mains, cependant, la technique du collage perd très vite toute valeur provocatrice pour devenir un moyen d'expression raffiné. Dans la série des grandes natures mortes de 1914, papiers peints, pages de journal, cartes à jouer, gravures, tous ces matériaux hétéroclites, à la différence de ce qui se passe chez Picasso et Braque à la même époque, font office de détails réels, s'intégrant sans heurts à l'économie de l'ensemble, sans perdre pour autant leur signification propre : tel faux-marbre rose sur lequel sont dessinés au fusain une carafe et un verre, loin d'être un simple élément plastique, représente bien le dessus d'un guéridon (Compotier et Carafe, Rijksmuseum Kröller-Müller, Otterlo). L'expérience des papiers collés est également venue à point pour confirmer Juan Gris dans sa démarche picturale. Depuis qu'il s'est lancé à corps perdu dans cette aventure méthodique qu'est le cubisme, un souci constant l'anime : fournir au spectateur les éléments de repère indispensables à une appréhension globale, synthétique de l'œuvre, quel que soit le degré de complexité de celle-ci. Le recours au collage l'oblige à repenser les rapports de forces qui régissent chaque composition ; pour contrebalancer les formes planes et colorées que constituent les papiers peints, la représentation doit se faire de plus en plus simple et directe, les objets ne peuvent plus être morcelés à l'infini, il faut les re-créer en une synthèse organique qui n'a plus rien de commun avec l'observation, même partielle, de la réalité. Ainsi, peu à peu, l'art de Juan Gris s'achemine vers une expression de plus en plus abstraite, conceptuelle, où la matière picturale, avec ses exigences et ses lois spécifiques, prime le sujet.

<it>Femme assise</it>, J. Gris - crédits :  Bridgeman Images

Femme assise, J. Gris

On s'accorde à considérer la production des années 1916 à 1919 comme le sommet de l'œuvre de Gris. Art austère, exigeant, ennemi de toutes les séductions faciles, sa peinture est alors l'aboutissement d'une méthode rigoureuse, heureusement tempérée par une vive sensibilité. C'est ce miracle d'équilibre entre l'intelligence et l'instinct que réalisent des toiles comme Le Tourangeau (1918, Musée national d'art moderne, Paris), la série des Pierrots et des Arlequins de 1919, et la plupart des natures mortes de la même année, au chromatisme sobre – qui surprend après le feu d'artifice des papiers collés –, aux savantes architectures. Les relations entre les formes, l'agencement des plans dans un espace rigoureusement bi-dimensionnel semblent y obéir à une nécessité implacable, mathématique. Cette impression est révélatrice du processus créateur chez Juan Gris, de cette approche déductive de la réalité picturale sur laquelle le peintre s'est expliqué à plusieurs reprises. Pour lui, peindre, c'est « partir du général pour arriver au particulier », composer avec des abstractions, le système des lignes et des couleurs, pour parvenir à une représentation, les objets reconnaissables qui figurent sur la toile achevée. Le fait pictural est premier. Il préexiste au sujet. Mieux, il le détermine. Par une série[...]

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Pour citer cet article

Gérard BERTRAND. GRIS JUAN (1887-1927) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

La Jalousie, J. Gris - crédits : G. Roberton/ A.C. Cooper Ltd/ Courtesy of the Tate Gallery, Londres

La Jalousie, J. Gris

<it>Guitare et journaux</it>, J. Gris - crédits :  Bridgeman Images

Guitare et journaux, J. Gris

<it>Femme assise</it>, J. Gris - crédits :  Bridgeman Images

Femme assise, J. Gris

Autres références

  • CUBISME

    • Écrit par Georges T. NOSZLOPY, Paul-Louis RINUY
    • 8 450 mots
    ...qu'il faut chercher le cubisme sous sa forme la plus pure, patiemment élaborée par les deux artistes dont chacun profitait des expériences de l'autre. Juan Gris suivit attentivement les œuvres de Braque et de Picasso. Il étudia très tôt l'œuvre de Cézanne dans une perspective cubiste et adopta...

Voir aussi