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JEU Le jeu dans la société

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L'éthique sociale et l'exploitation commerciale des jeux

Le rapport entre la société et l'esprit ludique peut présenter des aspects beaucoup moins abstraits, surtout lorsqu'il s'agit des jeux qui entraînent des déplacements de richesses.

D'une part, en effet, il en peut résulter des changements de statut social et des bouleversements dans les hiérarchies et stratifications qui, n'étant pas liés au mérite mais à la chance, peuvent affaiblir le sens de l'effort et, d'une façon ou d'une autre, compromettre le bon fonctionnement de la compétition collective.

D'autre part, il est assez naturel que l'État soit lui-même tenté de tirer profit de ces conséquences économiques des jeux, soit pour ses propres finances, soit comme moyen d'offrir un espoir à ceux qui risqueraient de mal supporter leur condition sociale.

Les réglementations officielles

Pour ces raisons opposées, il est arrivé que les sociétés globales, lorsqu'elles étaient incarnées dans des États, ne soient pas restées indifférentes aux jeux de hasard, mais aient été sollicitées à la fois par la tentation d'éliminer une activité réputée antisociale ou immorale et par le désir de contrôler des pratiques trop portées à la clandestinité, et d'en tirer bénéfice matériel et moral.

Les sociétés archaïques, on l'a dit, ont en général maîtrisé ce problème par la sacralisation : les jeux de hasard y jouaient un rôle important, mais entretenaient en même temps les croyances magico-religieuses qui étaient l'élément fondamental du contrôle social.

Dans l'Antiquité classique, les jeux de dés, dont les Grecs attribuaient l'invention soit à un héros de la guerre de Troie, soit à un dieu, soit aux Lydiens, étaient en grande faveur depuis des temps très reculés, dans toutes les civilisations indo-européennes et probablement aussi au-delà. Plusieurs penseurs, tels Socrate et Théophraste, y voyaient déjà une source d'immoralité. En Judée, la loi hébraïque interdisait les jeux d'argent. À Rome, on s'avisa vite que la passion du jeu menaçait les vertus civiques traditionnelles et qu'il était dangereux de laisser les gens se ruiner ou s'habituer à gagner de l'argent sans travailler. Des lois somptuaires furent édictées pour freiner cette tendance. Sous l'Empire, la législation contre les excès du jeu fut à plusieurs reprises renforcée, notamment sous Septime Sévère et Justinien, mais sans grand succès, d'autant plus que certains empereurs, tels César et Claude, étaient eux-mêmes des joueurs invétérés. D'ailleurs, en même temps, les loteries, qui étaient très en vogue parmi les soldats ou dans diverses fêtes, entraient dans un processus officiel qui devait par la suite révéler sa vitalité. Auguste lui-même patronna une loterie publique pour des travaux d'urbanisme.

D'autre part, à côté des jeux d'argent, le spectacle des jeux du cirque faisait partie d'une politique démagogique consistant à offrir au peuple une distraction de bas niveau culturel, et, par là même, l'esprit ludique entrait dans la vie sociale officielle sous une forme qui, pas plus que la loterie, ne faisait prédominer les considérations morales et éthiques.

L'Église chrétienne fit le plus souvent peser la réprobation sur les jeux de hasard et de profit et plus généralement tous ceux qui étaient aptes à développer les passions et entretenir l'esprit de lucre. Aussi bien les souverains les plus pieux tinrent-ils à honneur d'édicter des réglementations contre ces pratiques réputées sataniques, rejoignant ainsi l'attitude officielle des autorités religieuses que confirma le deuxième concile du Latran du xiie siècle. Successivement, Charlemagne excommunia les joueurs invétérés, Saint Louis fulmina contre les joueurs « infâmes »,[...]

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Écrit par

  • : membre de l'Institut, professeur émérite à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Jean CAZENEUVE. JEU - Le jeu dans la société [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 03/01/2017

Médias

Casinos de Las Vegas - crédits : David Tomlinson/ The Image Bank/ Getty Images

Casinos de Las Vegas

La roulette - crédits : Kevin Horan/ The Image Bank/ Getty Images

La roulette

Autres références

  • ART (Aspects esthétiques) - La contemplation esthétique

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    • 3 634 mots
    ...à la faveur du plaisir préliminaire que procure la forme elle-même, il engendre, par la levée des répressions et des refoulements, un plaisir nouveau ; de même, le jeu vise en réalité à réaliser un désir sur le mode hallucinatoire, tout comme le rêve cherche, de son côté, à remplir un vœu. La création...
  • AXELOS KOSTAS (1924-2010)

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    Parmi toutes les idées que passe ici en revue Bradley, nous pouvons insister sur les pages où il parle du jeu et du sérieux. D'Héraclite à quelques disciples de Husserl et de Heidegger en passant par Nietzsche, l'idée de jeu a conservé une grande importance. Selon Bradley, le jeu implique un sens du...
  • CARTES À JOUER

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    L'Antiquité gréco-romaine a ignoré les cartes. Il semble bien que ce jeu ait été d'abord transmis aux Italiens par une famille d'émigrés arméniens. Le mot vient du latin charta, « feuille de papier, papier », dérivé du grec khartês, « feuille de papyrus ». Le mot ancien...

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