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PERRONET JEAN-RODOLPHE (1708-1794)

Fondateur et directeur de l'École des ponts et chaussées, Jean-Rodolphe Perronet est aussi le plus grand constructeur d'ouvrages d'art français du xviiie siècle. Par la réputation qu'il acquiert au cours de sa longue carrière comme par la multiplicité de ses centres d'intérêt, il apparaît comme une des figures phares de la profession d'ingénieur au siècle des Lumières, une profession qu'il contribue à faire évoluer dans le sens d'une plus grande autonomie par rapport au modèle traditionnel du technicien artiste, proche parent de l'architecte.

Jean-Rodolphe Perronet naît en 1708 à Suresnes. Issu d'une excellente famille suisse des environs de Fribourg, son père qui avait appartenu aux gardes suisses s'était mésallié en épousant une simple paysanne. Devenu cabaretier, ce père mourra vers 1725 sans laisser de fortune à son fils. À bien des égards, la réussite de ce dernier peut être interprétée comme le fruit d'un désir de revanche sur des débuts plutôt obscurs dans la vie.

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Ce désir conduit tout d'abord le jeune Jean-Rodolphe Perronet à essayer d'entrer dans le prestigieux corps des ingénieurs des fortifications. Il doit très vite y renoncer par suite de son manque de fortune, et il se tourne alors vers l'architecture en entrant au service du premier architecte de la Ville de Paris, Debeausire. Celui-ci l'emploie notamment au projet du grand égout et à la construction du quai des Tuileries. En marge de ces tâches absorbantes, Perronet perfectionne ses connaissances mathématiques et physiques en suivant les leçons de Privat de Molières au Collège de France. En 1735, il rejoint un corps des Ponts et Chaussées de création récente et qui est encore loin de concurrencer celui des ingénieurs des fortifications. Nommé dans la généralité d'Alençon, Perronet se fait très rapidement remarquer par ses qualités de technicien et d'organisateur. Il perfectionne les techniques de revêtement des chaussées tout en étudiant la division du travail qui règne dans une manufacture d'épingles voisine. Dès cette époque, il conjugue réflexion technique et intérêt pour les problèmes que pose la direction des hommes.

Ce profil très particulier lui vaut d'être nommé en 1747 directeur du Bureau des dessinateurs de Paris, un organisme de contrôle technique employant des jeunes gens parmi lesquels on souhaite désormais recruter les futurs ingénieurs des Ponts et Chaussées. Cette nomination représente un véritable tournant pour Perronet, qui transforme progressivement le Bureau en une véritable école. Dès 1760, le Bureau des dessinateurs est d'ailleurs qualifié officieusement d'École des ponts et chaussées, appellation qu'officialisera Turgot en 1775. Pour cet établissement, que l'on peut considérer comme la première école d'ingénieurs française, Perronet met au point une formation originale, fondée sur une pratique intensive du projet sous toutes ses formes en même temps que sur l'apprentissage d'un esprit de corps exigeant.

Directeur de l'École des ponts et chaussées jusqu'à sa mort, en 1794, Perronet prend également la tête du corps des Ponts et Chaussées à partir de 1763, un corps qu'il parvient à propulser au premier rang en remettant en cause la suprématie traditionnelle des ingénieurs des fortifications. Fréquentant le milieu des encyclopédistes, à commencer par Diderot, membre de l'Académie d'architecture et de l'Académie des sciences ainsi que de plusieurs sociétés savantes étrangères, il incarne les points forts et les faiblesses de la plupart des ingénieurs français des Lumières. Doté d'un sens exigeant de l'État, homme de l'art plus qu'homme de science en dépit de la fréquentation régulière des savants, il réussit grâce à un mélange de pragmatisme et d'audace qui s'accorde parfaitement avec l'esprit de prudence théorique et de curiosité technologique de son temps.

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Son œuvre de constructeur d'ouvrages d'art reflète à sa façon ce mélange. Parallèlement à ses responsabilités de pédagogue et d'administrateur, Perronet est l'auteur de certains des ponts les plus célèbres du xviiie siècle. On lui doit notamment le pont de Neuilly, construit de 1768 à 1774, le pont de Pont-Sainte-Maxence, réalisé de 1772 à 1786, le pont Louis-XVI, enfin, l'actuel pont de la Concorde à Paris, exécuté de 1787 à 1791. Pragmatique, Perronet ne cherche pas à révolutionner les techniques de construction des ouvrages en pierre qui reposent sur des dispositifs de fondation et d'appareillage éprouvés, mais il pousse à leurs limites les possibilités de la pierre, comme pour souligner les limites des savoirs traditionnels de l'ingénieur. Alors qu'on donnait généralement aux piles une épaisseur comprise entre le quart et le sixième de l'ouverture des arches, Perronet ne leur en donne que le neuvième au pont de Neuilly. Cette diminution spectaculaire provoque bien des polémiques à l'époque. Elle correspond à un accent nouveau mis sur la performance structurelle au détriment de tout ce qui rattachait la construction des ponts à l'architecture. Dans une note rédigée vers la fin de sa vie, Perronet se targuera même d'être le premier à avoir osé donner aux ouvrages d'art « une décoration ». Ce protofonctionnalisme orgueilleux renvoie à l'orientation générale d'une vie et d'une œuvre tout entières consacrées à la promotion de la figure de l'ingénieur.

— Antoine PICON

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'architecture et des techniques à la Graduate school of design de l'université Harvard, Cambridge, Massachusetts (États-Unis)

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  • PONTS & CHAUSSÉES ÉCOLE DES

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    • 1 296 mots
    • 1 média
    Durant le xviiie siècle, l’École des ponts et chaussées (EPC) reste un établissement très différent d’une école moderne d’ingénieurs. Le directeur de l’établissement, l’ingénieur Jean-Rodolphe Perronet (1708-1794), choisit les futurs élèves à la suite d’un simple entretien informel....

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