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GIRAUDOUX JEAN (1882-1944)

Jean Giraudoux - crédits : Ullstein Bild/ Getty Images

Jean Giraudoux

Un romantique du xxe siècle, qui finit par prendre rang dans la lignée des classiques, à la suite de Marivaux et Musset, et pas tellement loin de ce Racine dont il a parlé comme d'un double ; un La Fontaine, rêveur et distrait, qui laisse une œuvre de quarante volumes ; l'« enchanteur » de son temps, comme fut nommé Chateaubriand, et comme lui caressant l'idée d'une mission politique, qui se résorbe en littérature : les paradoxes qu'inspire le cas Giraudoux ne peuvent se résoudre que dans une réflexion sur les pouvoirs de l'écriture.

L'homme Giraudoux fut pleinement un homme, comme son Holopherne ; « Un homme enfin de ce monde, du monde, l'ami des jardins à parterres, des maisons bien tenues, de la vaisselle éclatante sur les nappes, de l'esprit et du silence... Le pire ennemi de Dieu. »

L'écrivain Giraudoux est tout entier écrivain, comme son Racine, en qui « il n'est pas un sentiment qui ne soit un sentiment littéraire : sa méthode, son unique méthode, consiste à prendre de l'extérieur, par le style et la poétique comme par un filet, une pêche de vérités ».

Pour l'homme Giraudoux, attentif à ses plaisirs, à ses amours, à ses amitiés, à sa forme physique, à son équilibre moral, à son élégance et à sa jeunesse d'allure, l'écriture fut le plus équilibrant des plaisirs. Il écrivait d'un jet, sans ratures, laissant parfois un mot en blanc parce qu'il savait que les difficultés se franchissent dans la foulée, comme les haies de 400 mètres, dont il était champion universitaire. Il écrivait un roman en trois semaines, pendant ses vacances, en guise de vacances. Le miracle, c'est que tant d'humanité soit passée dans l'écriture.

L'indifférent pathétique

La première carrière de Jean Giraudoux est l'histoire d'une jeunesse, la plus longue et la plus vagabonde, prolongée par la guerre jusqu'au seuil de la quarantaine. Un adolescent très doué et très sensible tarde à entrer dans la vie et se protège des blessures de l'existence par des boucliers de papier doré. Son écriture fantasque enchaîne les figures de style dans un réseau précieux de descriptions et de métaphores. Aimant Jules Laforgue et Claude Debussy, fréquentant Paul-Jean Toulet et Charles-Louis Philippe, il introduit dans la nouvelle, alors naturaliste, une sensibilité post-symboliste et l'art des instantanés autobiographiques. Car le jeune Giraudoux n'a qu'à se souvenir pour écrire de délicates nouvelles, pour la plupart recueillies dans Provinciales (1909), L'École des indifférents (1911), Lectures pour une ombre (1917), Adorable Clio (1920). Ces précieux petits volumes ne touchent qu'une poignée de fins lettrés, au nombre desquels André Gide et Marcel Proust.

Ils y lisent en filigrane, et à travers un double voile de pudeur et d'ironie, l'histoire d'un enfant trop adoré par une mère délicate et distinguée et trop rudoyé par un père simple et sévère, petit fonctionnaire accablé par ses travaux d'écriture. De Bellac (Haute-Vienne) où il naquit, de Pellevoisin (Indre) où il fréquente l'école publique et la miraculée locale, sainte Estelle, de Cérilly (Allier) où il passe ses vacances de lycéen, un même paysage se compose, limousin ou berrichon, sans éclat et tout en nuances, et la même société villageoise tient à l'étroit les grands élans du cœur. On y rêve d'évasion, de la ville, de Paris. Mais, pour le gamin de onze ans, la ville c'est le lycée de Châteauroux, puis le lycée Lakanal, puis l'École normale supérieure, la vie d'interne jusqu'à la fin du service militaire, avec pour seule échappée la lucarne magique des livres et pour seule liberté celle du travail scolaire. La culture sera à jamais vouée, dans la pensée de Giraudoux, au destin le plus ambigu : elle est l'envol loin des mesquineries quotidiennes, et elle est l'aberration qui arrache[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur de littérature comparée à l'université François-Rabelais de Tours

Classification

Pour citer cet article

Jacques BODY. GIRAUDOUX JEAN (1882-1944) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Jean Giraudoux - crédits : Ullstein Bild/ Getty Images

Jean Giraudoux

Autres références

  • ÉLECTRE, Jean Giraudoux - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 534 mots

    Après Amphitryon 38 (1929) et La guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), Électre est la troisième œuvre dramatique de Jean Giraudoux (1882-1944) inspirée de l'Antiquité grecque. Confiée à la troupe de Louis Jouvet qui la créa le 13 mai 1937 au théâtre de l'Athénée (il interprétait...

  • INTERMEZZO, Jean Giraudoux - Fiche de lecture

    • Écrit par David LESCOT
    • 761 mots

    Jean Giraudoux (1882-1944) a situé l'action d'Intermezzo (1933), comédie en trois actes, dans une petite ville de la province française semblable à celle dont il était originaire (Bellac). Ce qui n'empêche pas le dramaturge, derrière le pittoresque attendri et l'ode aux vertus régénérantes...

  • LA GUERRE DE TROIE N'AURA PAS LIEU, Jean Giraudoux - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 730 mots

    Après Siegfried (1928),Amphitryon 38 (1929), Judith (1931) et Intermezzo (1933),La guerre de Troie naura pas lieu constitue la cinquième œuvre théâtrale de Jean Giraudoux (1882-1944). Sa création, le 22 novembre 1935 à Paris, au Théâtre de l’Athénée, dans une mise en scène de ...

  • AMPHITRYON

    • Écrit par Universalis
    • 289 mots

    Dans la mythologie grecque, fils d'Alcée, roi de Tirynthe. Ayant tué par accident son oncle Élektryon, roi de Mycènes, Amphitryon s'enfuit avec Alcmène, la fille d'Élektryon, et se réfugia à Thèbes, où le roi Créon, son oncle maternel, lui accorda le pardon de sa faute. Alcmène accepta d'épouser...

  • JUDITH LIVRE DE

    • Écrit par Marie GUILLET
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    Figurant parmi les sept livres bibliques deutérocanoniques qui ne faisaient pas partie du canon hébraïque des Écritures, le livre dit de Judith n'est entré dans le canon des chrétiens qu'à l'époque patristique, à la fin du ier siècle. Son original hébreu est perdu ; il...

  • PLAGIAT

    • Écrit par Hélène MAUREL-INDART
    • 5 708 mots
    • 1 média
    ...dépassement de relations d’appartenance à la tradition, aux œuvres admirées, à une école ou à un courant de pensée. On connaît la fameuse déclaration de Giraudoux dans Siegfried : « Le plagiat est la base de toutes les littératures, excepté de la première, qui d’ailleurs est inconnue. » Plus sérieusement,...
  • REFUS ET VIOLENCES (J. Verdès-Leroux) - Fiche de lecture

    • Écrit par Jacques LECARME
    • 1 646 mots

    Il faut d'abord saluer le travail énorme, méthodique et maîtrisé de Jeannine Verdès-Leroux, qui entreprend, avec Refus et violences (Gallimard), de brosser le tableau d'une génération d'écrivains d'extrême droite. Personne, avant elle, n'avait inventorié cette masse de...

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