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INNÉISME

Doctrine philosophique d'après laquelle sont en quelque sorte inscrits ou présents dans l'esprit humain des idées, des vérités (rapports entre idées) ou des principes. On la fait parfois remonter jusqu'à Platon (théorie de la réminiscence : l'âme conserve le souvenir confus des idées contemplées avant cette vie). La théologie chrétienne a souvent repris et transposé cette thèse, sous la forme de la doctrine de l'illumination intérieure : Dieu est le Verbe qui éclaire nos esprits (saint Augustin, Aurelius Victor, Malebranche, Bordas-Demoulin ; pour ce dernier, les idées sont à la fois en Dieu et en nous). Mais l'innéisme est proprement la doctrine de Descartes (Méditation troisième), pour qui l'homme a trois sortes d'idées : adventices (venues du dehors), factices (imagination) et innées (ainsi les idées mathématiques : « Lorsque je commence à les découvrir, il ne me semble pas que j'apprenne rien de nouveau, mais plutôt que je me ressouviens de ce que je savais déjà auparavant, c'est-à-dire que j'aperçois des choses qui étaient déjà dans mon esprit, quoique je n'eusse pas encore tourné ma pensée vers elles » Méditation cinquième). Locke, dans l'Essai philosophique concernant l'entendement humain (1690), triomphe trop aisément de la thèse cartésienne en l'entendant à la lettre : ces idées ne se rencontrent pas chez l'enfant ni chez le primitif. Certains textes de Descartes se prêtaient à cette interprétation réaliste : Lettre à Newcastle de mars ou avril 1648, évoquant un dépôt d'objets dans notre esprit. Mais d'autres présentent l'innéité comme virtuelle : Notæ in programma ; Réponses aux troisièmes objections (d'une idée née avec nous « j'entends seulement que nous avons en nous-mêmes la faculté de la produire »). C'est également comme virtualités que Leibniz comprend les idées innées ; il se déclare, après Descartes, « pour l'idée innée de Dieu » (Nouveaux Essais sur l'entendement humain). Kant situe clairement le problème : « Si toute notre connaissance débute avec l'expérience, cela ne prouve pas qu'elle dérive toute de l'expérience » (Critique de la raison pure) ; les données sensibles sont organisées par les « formes » de la sensibilité et de l'entendement. Pour les évolutionnistes tels que Spencer, ce qui est inné dans l'individu a été acquis par l'espèce. Encore faudrait-il distinguer innéité psychologique et antériorité transcendantale. Il semble difficile de nier le pouvoir organisateur de l'esprit : la connaissance est, pour Léon Brunschvicg, un accord mouvant entre un réel inachevé et un esprit en devenir.

Rousseau, contre Locke, affirme que la conscience morale est innée : quand le bien et le mal se présentent à nous, nous les reconnaissons immédiatement, pour aimer l'un et détester l'autre, et « c'est ce sentiment qui est inné ». Max Scheler affirme que les valeurs sont appréhendées par des intuitions d'ordre émotif, cela contre les prétentions du sociologisme à les expliquer par l'éducation (Le Formalisme en éthique, 1913-1916).

— Jean-Louis DUMAS

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, professeur au lysée Malherbe, Caen

Classification

Pour citer cet article

Jean-Louis DUMAS. INNÉISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • DESCARTES RENÉ (1596-1650)

    • Écrit par Ferdinand ALQUIÉ
    • 12 505 mots
    • 2 médias
    ...Descartes insiste sur le fait que, pour comprendre son argument, il faut se délivrer des préjugés et des habitudes du monde, lorsqu'il met en lumière le caractère inné de l'idée de Dieu, idée présente en nous et faisant partie de nous-mêmes, à la différence des idées adventices ou factices, lorsqu'il...
  • ESSAI SUR L'ENTENDEMENT HUMAIN, John Locke - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 830 mots
    • 1 média
    ...travail critique lui paraît nécessaire pour dégager la nouvelle science de conceptions inopérantes et d'obstacles liés à l'emploi de la langue commune. Il s'emploie d'abord à réfuter (livre I : « Des idées innées ») les arguments en faveur de l'innéisme : le consentement universel, l'existence de principes...
  • IDÉALISME

    • Écrit par Jean LARGEAULT
    • 9 534 mots
    ...éloignée de l'opinion de Descartes et que les cartésiens évitent en supposant que Dieu est source de nos idées ou bien que nous trouvons nos idées en lui. Descartes maintient que les idées (du moment qu'elles sont claires et distinctes) ont une réalité formelle, c'est-à-dire une cause dans un sujet, lequel...
  • IMMÉDIAT

    • Écrit par Dominique LECOURT
    • 3 910 mots
    ...intelligible qui lui est homogène et immédiatement assimilable. On comprend aisément, d'après ce qu'on vient de dire, que cette essence soit mathématique. Il va de soi que, du même coup, elle tombe sous la juridiction du Médiateur : on connaît la thèse centrale de l'innéisme ; c'est Dieu qui a...

Voir aussi