HYPERRÉALISME
Procédures et procédés
La proposition est paradoxale : il s'agit à la fois pour les hyperréalistes d'imiter à la perfection et de produire une infime trace d'originalité, de se poser en virtuose et d'opérer des gestes de fabrication laborieux et fatigants – « On ne peut pas tricher, affirme Hucleux, on est obligé [d'y passer] trois mois, à raison de quinze heures par jour » –, tout cela pour la simple beauté du geste de peinture, puisque la photographie est déjà à disposition des spectateurs. On peut ainsi apprécier les procédures hyperréalistes comme une mise à l'épreuve. « Je fais des expériences que les gens puissent regarder », déclare Chuck Close.
La source photographique de chacun(e) de ces artistes est variable. Certains prennent leurs propres photos, comme Richard Estes, Richard McLean ou Joseph Raffael. Chuck Close, utilisant une chambre photographique, vise les yeux et la bouche de ses modèles, avec une très faible profondeur de champ qui rend flous les traits de leur visage. D'autres, comme Ben Schonzeit, Tom Blackwell ou Richard Estes, privilégient le net et la précision de leurs photos. Robert Bechtle choisit « des photos vraiment infectes », quand d'autres les trouvent dans les magazines en couleurs ou des journaux en noir et blanc. Ces peintres sont nombreux à transposer l'image sur toile par épiscope. Ils dessinent alors le contour des objets, ou peignent directement l'image projetée. Certains utilisent des pochoirs, comme Audrey Flack ; d'autres encore se servent d'une grille (Artschwager, Close, Eddy). Malcolm Morley peint par bandes ou carreaux, disposés de façon continue, mais opposés l'un à l'autre. Certains usent de la brosse et du pinceau, d'autres de l'aérographe, outil servant alors principalement dans l'industrie et donnant un aspect lisse à la matière colorée. Don Eddy a ainsi conservé, pour exécuter ses tableaux, l'aérographe utilisé dans sa profession antérieure, peintre de carrosseries automobiles. Parfois les artistes, comme Chuck Close, passent de l'une à l'autre des deux techniques. De plus, à partir des années 1970, ce dernier produit la couleur non par la technique traditionnelle du mélange pictural, mais par les moyens de la photographie, superposant les couches de rouge, de bleu cyan et de jaune, dans des densités variables qui déterminent la valeur finale. Close multiplie encore les processus de recréation peinte de l'image photographique, en usant de pastilles, empreintes de pouce, voire « pixels » rappelant les processus de l'électronique.
Dans l'ensemble, les hyperréalistes se saisissent des techniques de représentation (production et reproduction) propres à la photographie pour les transcrire aussi minutieusement que les objets dépeints à la surface du tableau, qu'il s'agisse de la vision monoculaire, de l'immobilité (le Français Jean Olivier Hucleux parle de « ponctualité »), de la platitude, du rétrécissement spatial, de changements de focale, de reflets captés par l'objectif, ou des variations de netteté et de flou. Apparaissant à l'image, ces procédés photographiques parfois très présents viennent perturber la vision du spectateur. Le travail sur le flou, qui nourrit les peintures de Gerhard Richter comme celles de Chuck Close, Don Eddy, Ben Schonzeit, Richard Artschwager ou Audrey Flack, crée « comme une vision photographique de l'abstraction » (P. Javault). Ces travaux reconstruisent, réinventent, en accumulant des couches de fabrication, la matérialité des images. L'artificialité de la projection photographique devient une réalité. Comme l'affirme Richter : « La photo n'est pas un moyen utile à la peinture. C'est la peinture qui est un moyen utile à une photo fabriquée avec les moyens de la peinture. »[...]
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Écrit par
- Élisabeth LEBOVICI
: critique d'art au journal
Libération
Classification
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