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HIROSHIMA MON AMOUR, film de Alain Resnais

Un film qui brise tous les tabous

Bien que très soutenu par André Malraux, ministre d'État chargé des Affaires culturelles, le film ne représente pas officiellement la France au festival de Cannes de l'année 1959, où triomphe Les Quatre Cents Coups. Mais il est programmé hors compétition et impressionne favorablement la critique internationale pour son audace formelle. Grâce à ces louanges unanimes, Hiroshima peut être distribué dans un important circuit de salles et, en particulier, sur les Champs-Élysées. Il bénéficie d'un succès public inattendu et totalise plus de 250 000 entrées en exclusivité.

<em>Hiroshima mon amour</em>, A. Resnais - crédits : Argos/Como/Pathe/Daiei/ The Kobal Collection/ Aurimages

Hiroshima mon amour, A. Resnais

L'audace du film tient autant à son sujet qu'à son mode d'expression et à son style, alors très nouveaux. Il n'était pas évident, dans la France de l'après-guerre, de choisir comme héroïne une femme « tondue », victime de l'épuration populaire. Il était encore plus audacieux d'évoquer son calvaire personnel en le reliant à une aventure sexuelle présentée plutôt crûment, si l'on se réfère aux normes esthétiques de 1959. Une aventure, qui plus est, entre une femme libre et un homme marié, appartenant à une autre culture. Marguerite Duras et Alain Resnais ont volontairement bravé les tabous moraux de l'époque.

Plus encore, ils ont donné à ce poème lyrique une structure révolutionnaire, entièrement fondée sur les retours en arrière et un montage libre qui accompagnent un texte ostensiblement littéraire, psalmodié d'une voix incantatoire : « Tu n'as rien vu à Hiroshima »... « J'ai tout vu à Hiroshima, les deux cent mille morts et les quatre-vingt mille blessés en neuf secondes... ».

Au départ, le film entremêle un univers fictionnel, celui des deux amants, à un discours de type documentaire, le montage sur le musée d'Hiroshima. Les premiers échanges dialogués se développent linéairement, puis, progressivement, les images de l'aventure de jeunesse, enfouies dans la mémoire de l'héroïne, vont se disséminer dans le présent de la ville japonaise moderne. Ces réminiscences culminent dans la dernière partie du film où les travellings décrivant les bords de la Nièvre dans la brume hivernale viennent se croiser et se confondre avec ceux qui arpentent les rues modernes d'Hiroshima, à l'éclairage artificiel beaucoup plus éclatant.

La fascination esthétique exercée par le film est, bien sûr, engendrée par la virtuosité du montage, le timbre de voix des deux acteurs et, plus encore, par la très belle partition musicale écrite par Giovanni Fusco, collaborateur habituel d'Antonioni pendant cette période.

La comédienne française est incarnée par une jeune actrice de théâtre découverte par Resnais, Emmanuelle Riva. La voix de l'actrice sert magnifiquement la syntaxe si particulière du texte littéraire et lyrique de Marguerite Duras : « Tu me tues, tu me fais du bien »... « Pourquoi nier l'évidente nécessité de la mémoire »... « Les sept branches de l'estuaire en delta de la rivière Otta »... Quant à l'acteur japonais, il prononce phonétiquement son texte, car il ne maîtrisait pas la langue française : « Nevers est un joli mot français », énonce-t-il en scandant chaque syllabe.

— Michel MARIE

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Michel MARIE. HIROSHIMA MON AMOUR, film de Alain Resnais [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<em>Hiroshima mon amour</em>, A. Resnais - crédits : Argos/Como/Pathe/Daiei/ The Kobal Collection/ Aurimages

Hiroshima mon amour, A. Resnais

Autres références

  • MUROBUSHI KŌ (1947-2015)

    • Écrit par Thomas HAHN
    • 1 067 mots
    • 1 média
    ...déflagration. Cette dernière collaboration, où Ikeda Carlotta est la directrice artistique alors que Murobushi Kō signe la chorégraphie, est née sous l’influence du séisme de mars 2011. Elle traite de Fukushima, Hiroshima et Nagasaki, à travers des extraits du film Hiroshima mon amour d’Alain Resnais.
  • PARLANT (CINÉMA) - (repères chronologiques)

    • Écrit par Michel CHION
    • 3 201 mots

    1899 États-Unis. The Astor Tramp, « picture song » de Thomas Edison. Bande filmée destinée à être accompagnée d'une chanson chantée en salle (derrière l'écran) par des artistes invités.

    1900 France. Présentation par Clément Maurice du Phono-Cinéma-Théâtre à l’'Exposition universelle....

  • RESNAIS ALAIN (1922-2014)

    • Écrit par Jean-Louis LEUTRAT
    • 3 810 mots
    • 1 média
    ...impossible à distinguer qualitativement d'un souvenir ». Cette phrase a retenu l'attention de Resnais ; elle peut s'appliquer à plus d'un passage de son œuvre. Ainsi, dans une séquence de Hiroshima mon amour, un disque est mis en marche dans un juke-box. La valse composée par Georges Delerue que l'on entend...

Voir aussi