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BÖLL HEINRICH (1917-1985)

Poésie et résistance...

Fin de mission (Ende einer Dienstfahrt, 1966) présente l'acte commis par les Gruhl, père et fils, qui ont incendié la jeep de la Bundeswehr avec laquelle ils devaient accomplir une mission de pure forme, comme un happening libérateur. À partir de ce roman, la critique de Böll, prenant appui sur la liberté de l'art et le pouvoir explosif d'action qu'il recèle, s'oriente vers une démarche plus active. Böll intervient directement à propos de la guerre du Vietnam, des procès d'écrivains en Union soviétique, des lois d'exception, de l'affaire Baader-Meinhof : De la difficulté de fraterniser, écrits politiques (Schwierigkeiten mit der Brüderlichkeit, politische Schriften, 1973-1976) ; Engagement souhaitable (Einmischung erwünscht, 1977). Sa notoriété s'accroît encore avec la parution de ses romans, où la figure de la femme passe au premier plan. Portrait de groupe avec dame (Gruppenbild mit Dame, 1971) est-il la somme des éléments thématiques rencontrés jusqu'ici ? L'auteur, retranché derrière un rôle volontairement anonyme et administratif, collectionne les témoignages et reconstitue, par approches successives, la vie de Leni Gruyten, porteuse de cinquante années d'histoire allemande. Malgré cette technique difficile, rappelant celle de Heimito von Doderer, Böll donne une présence envoûtante à son personnage qui n'apparaît effectivement qu'à la dernière page du livre. Survivante d'un monde aux mutations tragiques, fidèle au souvenir de son amour pour un prisonnier russe victime de la guerre, mais fidèle aussi à sa propre sensibilité, Leni, par son authenticité, redonne couleur à un univers privé d'âme. Un embryon de société, formé des éléments les plus défavorisés et les plus marginaux, se regroupe, comme pour poser devant l'objectif, autour du couple qu'elle constitue finalement avec un travailleur turc immigré. Les femmes, la politique et Bonn en arrière-plan sont les acteurs du dernier roman, mélancolique et résigné, de Böll, Femmes devant un paysage fluvial (Frauen vor Flusslandschaft, 1985). L'amour est aussi rédempteur et subversif dans L'Honneur perdu de Katharina Blum (Die verlorene Ehre der Katharina Blum, 1974). C'est l'œuvre la plus engagée de l'écrivain. Brève, conduite comme un procès-verbal, elle traite de la naissance, de la violence et de la trahison du langage. Celui-ci, asservi au pouvoir de l'argent, utilisé par la presse, devient un moyen de manipuler et de violer les consciences. Entre ce langage travesti et celui simplement humain de Katharina, accusée d'avoir, par amour, aidé un révolutionnaire à s'enfuir, toute communication est rompue. Seul un acte violent, l'assassinat de l'un des journalistes responsables, lui permettra de venger son honneur. Derrière l'actualité du sujet, on retrouve le problème essentiel et constant du langage, de sa puissance, de ses devoirs. Les mots font la politique et parfois même « tuent ». Mais c'est aussi par le langage que l'écrivain peut critiquer et condamner la politique. Chargé d'une force mystique comparable à celle d'un sacrement, le langage peut agir sur le cours des choses. Ce qui lui impose d'être vrai, c'est-à-dire en totale adéquation avec le message qu'il délivre. Seul « reste » d'absolue liberté, sa mission est nécessaire et doit être partout respectée. « Comment, dit Böll, dans son discours de remerciement pour l'attribution du prix Nobel (Essai sur la raison d'être de la poésie[Versuch über die Vernunft der Poesie, 1973]), nous passer [...] de ce reste, que nous pouvons appeler ironie, poésie, Dieu, fiction ou résistance ? »

— Michèle MONTEIL

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Écrit par

  • : agrégée de l'Université, maître assistante à l'U.E.R. d'études germaniques de l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Michèle MONTEIL. BÖLL HEINRICH (1917-1985) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Heinrich Böll et Soljénitsyne - crédits : Jean-Claude Francolon/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Heinrich Böll et Soljénitsyne

Autres références

  • ALLEMANDES (LANGUE ET LITTÉRATURES) - Littératures

    • Écrit par Nicole BARY, Claude DAVID, Claude LECOUTEUX, Étienne MAZINGUE, Claude PORCELL
    • 24 585 mots
    • 29 médias
    ...du « miracle économique ». L'antihéros de cette période, le personnage qui incarne la persistance d'une certaine Allemagne, c'est le petit-bourgeois, Heinrich Böll peint les milieux catholiques rhénans en morcelant et en multipliant les perspectives, comme dans Billard à neuf heures et demie (1959)....
  • GROUPE 47

    • Écrit par Pierre GIRAUD
    • 2 698 mots
    • 1 média
    ...langue doit être épurée. Il faut, selon l'expression de Weyrauch, bannir la « langue de l'esclavage », tourner le dos à la « calligraphie ». À ses débuts, Heinrich Böll confie ses difficultés à écrire, ne serait-ce qu'une demi-page de prose. Pratiquer la « table rase » (Kahlschlag) pour reconquérir...
  • SHOAH LITTÉRATURE DE LA

    • Écrit par Rachel ERTEL
    • 12 469 mots
    • 15 médias
    En Allemagne, Heinrich Böll dit, dans des romans, comme Rentrez chez vous, Bogner (1953) et Les Enfants des morts (1954) quelles sont les répercussions de la catastrophe : la mise à mort de l'humain, le mensonge et le déni, l'inconscient trouble d'une Allemagne qui refuse d'assumer sa culpabilité, qui...

Voir aussi