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GONCOURT EDMOND (1822-1896) ET JULES DE (1830-1870)

Une crise du roman

Que les Goncourt recourent à des observations prises sur le vif suffit à les classer réalistes. On cite alors l'exemplaire coïncidence du personnage et de son modèle, de Germinie et de Rose, domestique des deux frères : c'est la même servante dévouée, ivrogne, hystérique. On souligne le rôle du physiologique, les emprunts au Traité de l'hystérie de Brachet ou, pour Renée Mauperin, au Traité clinique des maladies de cœur de Bouillaud. Signe d'un réalisme aggravé, l'audace des données provoque le scandale des contemporains, indignés devant les débordements d'une servante ou la prostitution et le crime d'Élisa. Enfin, le parti pris de rigueur scientifique est ostensiblement marqué par le caractère monographique de ces romans qui constituent, chacun, l'étude d'un cas.

Cette réduction des Goncourt au réalisme ne va pas sans naïveté. La mosaïque des emprunts fait scintiller plus qu'il ne faudrait des romans comme Madame Gervaisais qui, autour de la conversion d'une tante des écrivains, rassemble des centaines de textes rares pris aux ouvrages de mystique ou de dévotion les plus divers. Le roman se décompose encore par l'effet de la rigueur souhaitée : les Goncourt tendent à le réduire à un montage de documents et d'effets littéraires, ce dépouillement culminant dans Chérie, pure collection d'observations sur l'enfance féminine et le refoulement virginal. Par les nécessités des deux labeurs parallèles, la collaboration fraternelle avait aussi contribué à émietter le récit, débité en chapitres courts et selon un découpage abrupt. Le type même d'effets chers aux Goncourt porte un dernier coup à l'homogénéité narrative : les éclats d'étrangeté et de poésie rompent le courant. Enfin, les approches du romancier par rapport à son personnage varient incessamment, d'où une forme curieuse d'illusion conditionnelle, le roman devenant une expérience toujours renouvelée, poursuivie sur un être qui, au lieu de s'imposer jusqu'à l'envoûtement, se définit comme le centre hypothétique de toutes ces recherches.

Ces fractures que subit le genre romanesque, c'est peut-être la faiblesse, mais c'est aussi le charme très particulier de ces œuvres des Goncourt, qui vont au-delà de ce naturalisme qu'elles inaugurent.

— Robert RICATTE

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université de Paris-VII

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Pour citer cet article

Robert RICATTE. GONCOURT EDMOND (1822-1896) ET JULES DE (1830-1870) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Les frères Goncourt - crédits : Apic/ Getty Images

Les frères Goncourt

Autres références

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