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SIMENON GEORGES (1903-1989)

Un art de l'écriture servi par la technique

Cela ne signifie nullement que Simenon ne se préoccupe pas des techniques inhérentes à la forme romanesque. Au contraire, ses fictions sont régies par un art à tel point consommé qu'il fait oublier la technique. L'analyste désireux d'appréhender la prétendue pauvreté de la mise en œuvre simenonienne se rend compte bien vite que le romancier manie avec brio les structures temporelles du récit, avec ses anticipations, avec les émergences d'un passé contraignant qui conditionne le présent. De même, le traitement de l'espace reçoit tous les soins d'un auteur qui, loin d'épuiser le réel à la façon d'un Balzac dont on l'a trop souvent rapproché, le reconstitue par petites touches significatives, qu'il s'agisse de noter tels détails strictement descriptifs ou d'évoquer les sons, les odeurs, la luminosité, domaine des sensations dans lequel le romancier excelle. Le procédé n'est pas tellement éloigné du pointillisme pictural qu'il admirait. “On m'embête assez avec l'atmosphère Simenon”, déclarait-il. Et de s'insurger : “On dit que je suis un écrivain réaliste. C'est absolument faux, parce que, si j'étais réaliste, j'écrirais exactement les choses comme elles sont. Or il faut les déformer pour leur donner une plus grande vérité.”

L'utilisation des structures spatio-temporelles n'est pas la seule à témoigner de la virtuosité technique de Simenon. Ainsi, en ce qui concerne le point de vue, le romancier porte à son maximum d'efficacité narrative le procédé de la focalisation interne. Les domaines de l'intrigue et de la composition ne sont pas négligés, eux non plus : même s'il a souvent déclaré qu'en commençant un roman il en ignorait la fin, on constate très souvent la présence de divers motifs et thèmes récurrents jalonnant le récit en fonction de son dénouement, au point que ces échos et ces reprises font plus d'une fois penser aux liens qui rapprochent son œuvre des subtils arcanes du nouveau roman. Enfin, il serait erroné de tenir pour négligeable le style simple de Simenon, qui résulte davantage d'une ascèse scripturale que d'une volonté délibérée de facilité. Couramment qualifié de blanc, gris ou neutre, ce style sobre, sans fioritures, aux constructions banales, au vocabulaire résolument limité, relève en effet d'une quête de dépouillement visant à bannir l'artifice, le pathos et, d'une manière générale, tout romantisme de bas étage. On a d'ailleurs peine à imaginer le dur travail d'émondage que s'est infligé pour parvenir à ce stade dépouillé un auteur qui a montré dans ses écrits de jeunesse qu'il pouvait écrire tout autrement. Ce style, qui n'empêche pas Simenon d'obtenir quand il le faut une émotion de type lyrique, a certainement contribué au succès universel du romancier. Ces éléments expliquent sans doute aussi la fascination exercée par l'écrivain sur certains de ses pairs malgré les réticences initiales de l'Olympe littéraire, fascination qui va de Cocteau à Mac Orlan, de Céline à Pagnol, de Miller à Amado, de Mauriac à Gide. Ce dernier voyait d'ailleurs en lui “un grand romancier, le plus grand peut-être et le plus vraiment romancier” de son temps.

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Écrit par

  • : ancien chef correcteur adjoint de l'Encyclopædia Universalis, correspondant du Centre d'études Simenon de l'université de Liège, Belgique
  • : agrégé de lettres, directeur de publication de la revue Traces (Travaux du centre d'études Georges-Simenon de l'université de Liège)

Classification

Pour citer cet article

Pierre DELIGNY et Michel LEMOINE. SIMENON GEORGES (1903-1989) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Georges Simenon - crédits : Keystone Features/ Getty Images

Georges Simenon

Autres références

  • MONSIEUR GALLET, DÉCÉDÉ, G. Simenon - Fiche de lecture

    • Écrit par Philippe DULAC
    • 1 191 mots

    Monsieur Gallet, décédé paraît en 1931, année qui marque une étape décisive dans la vie de Georges Simenon (1903-1989). Celui-ci publie enfin sous son véritable nom, après neuf années passées dans l'ombre à apprendre le métier d'écrivain. De 1922 à 1924, il a fourni aux journaux d'innombrables...

  • LE VOYAGEUR DE LA TOUSSAINT, Georges Simenon - Fiche de lecture

    • Écrit par Philippe DULAC
    • 942 mots
    • 1 média

    Écrit et publié chez Gallimard en 1941, Le Voyageur de la Toussaint prend place dans une série d'œuvres majeures de Georges Simenon, popularisées pour la plupart par le cinéma : Les Inconnus dans la maison (1940), La Veuve Couderc (1942), La Vérité sur Bébé Donge (1942) ou encore ...

  • LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE

    • Écrit par Dominique RABATÉ
    • 7 278 mots
    • 13 médias
    L’œuvre pléthorique deGeorges Simenon (1903-1989) incarne ce goût nouveau et lui donne avec le commissaire Maigret, enquêteur peu conventionnel qui se laisse imprégner de l’atmosphère des lieux du crime qu’il doit résoudre, une des figures les plus populaires au cinéma et à la télévision. Simenon...
  • MAIGRET (P. Leconte)

    • Écrit par Christian VIVIANI
    • 1 146 mots

    « C’est lui ! C’est lui ! », se serait exclamé Georges Simenon devant Michel Simon interprétant le rôle du commissaire Maigret dans un court fragment de Brelan d’as (Henri Verneuil, 1952). Ce n’était pas la première fois que l’écrivain réagissait aux incarnations cinématographiques...

  • POLICIER ROMAN

    • Écrit par Claude MESPLÈDE, Jean TULARD
    • 16 394 mots
    • 14 médias
    ...demeure, bien sûr, le commissaire Maigret, policier de la P.J., le pas pesant, la pipe à la bouche, nourri de sandwiches et de bière, tel que l'a imaginé Simenon, et qui fait ses débuts dans Pietr le Letton, en 1931, un an après la mort de Conan Doyle. Point de raisonnement, de déduction savante chez Maigret,...
  • ROMAN - Essai de typologie

    • Écrit par Jean CABRIÈS
    • 5 909 mots
    • 5 médias
    Tel est du moins le statut du roman policier jusqu'aux années 1930, car l'apparition de Georges Simenon va en inverser les données : le policier intelligent n'est plus le détective privé, mais un commissaire divisionnaire qui résume toutes les qualités de la moyenne bourgeoisie : lucidité mais bonté,...

Voir aussi