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TRAKL GEORG (1887-1914)

Né le 3 février 1887 à Salzbourg dans une famille aisée, Georg Trakl mènera une vie qui sera tout le contraire d'une carrière bourgeoise : échec au lycée, drogue, alcool, inceste avec sa sœur Margarete, instabilité professionnelle, peur de la folie, enfin l'horreur de la guerre qui le poussera, après une première tentative, à se suicider à l'hôpital militaire psychiatrique de Cracovie, le 3 novembre 1914. Telle fut la vie du plus grand poète lyrique de langue allemande du xxe siècle. Une centaine de poèmes publiés de son vivant — d'abord dans la revue Der Brenner puis sous forme de recueils dans la célèbre série Der jüngste Tag (Le Jour du Jugement dernier) des éditions Wolff, maison protectrice de la génération expressionniste — ont fait de Trakl un héritier unique de traditions européennes fort diverses. Dans le domaine poétique allemand, Trakl se réfère à deux « frères » mythiques, Hölderlin et Novalis, mais aussi à Eichendorff et Lenau ; en revanche Goethe lui inspire le mépris. À cette filiation germanique s'ajoute l'imaginaire baroque autrichien et un apport considérable de la poésie française (Baudelaire, Verlaine, Rimbaud). Dans le cas de Trakl, il faut tenir compte aussi bien de son admiration pour Dostoïevski que de la « contamination rimbaldienne » qui a pu agir sur lui.

En Autriche où il vit entre Salzbourg, Vienne et Innsbruck, le nom de Trakl est associé à l'éclosion de la modernité d'avant 1914. Après de brefs contacts avec la Jeune Vienne dont les échos sont perceptibles dans les poèmes de jeunesse qui rappellent Nietzsche, Hofmannsthal et Rilke, il se rapproche du cercle du Brenner dont l'âme était Ludwig von Ficker qui, en 1925, fit rapatrier le corps de Trakl à Innsbruck. C'est grâce à Ficker que Trakl va faire la connaissance de Karl Kraus, Adolf Loos, Oskar Kokoschka, Else Lasker-Schüler et indirectement de Ludwig Wittgenstein qui disait de ses poèmes : « Je ne les comprends pas. Mais leur ton me rend heureux. C'est le ton de l'homme véritablement génial. »

Dans l'œuvre de Trakl, on distingue quatre périodes qui correspondent à des évolutions formelles remarquables que l'on peut qualifier de changements de « tonalité ». Aux poèmes de jeunesse réunis longtemps après la mort du poète dans le recueil Le Calice doré (Aus goldenem Kelch, 1939) succède la première « tonalité » véritablement trakléenne dans Poèmes (Gedichte, 1913). L'univers de Trakl (monde automnal et nocturne, déclin, folie, putréfaction, mélancolie, paradis de l'enfance perdue, inceste) s'exprime dans des formes plutôt conventionnelles : sonnets et quatrains. Mais qu'on y prenne garde : ce que Trakl appelle lui-même sa « manière acquise à la sueur de [son] front » détruit de l'intérieur le bel ordre rythmique apparent, car Trakl aligne des images, souvent hardies, voire répugnantes, et qui n'ont pas de lien logique entre elles. Il s'agit plutôt d'un procédé musical opposant des thèmes parfois très contrastés. Cette première manière caractérise surtout la production qui s'étend de 1910 à 1912. La deuxième « tonalité » se manifeste déjà dans Poèmes avec « Psaume », « De profundis » et surtout « Hélian », et dominera le recueil Sébastien en rêve (Sebastian im Traum, 1915). Le quatrain et la rime se font rares. Sans changer d'univers thématiques, une forme nouvelle puisée dans les Psaumes, les hymnes de Hölderlin et surtout dans Les Illuminations de Rimbaud permet à Trakl la construction de ce que l'on nomme le Traklwelt (univers trakléen) peuplé d'étranges figures mythiques : Elis, Hélian, Gaspard Hauser et Sébastien. Cette nouvelle tonalité introduit également une grande solennité d'ordre religieux dans la poésie de Trakl. Trakl chrétien ? C'est un sujet de polémique universitaire.[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Gérald STIEG. TRAKL GEORG (1887-1914) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • AUTRICHE

    • Écrit par Roger BAUER, Jean BÉRENGER, Annie DELOBEZ, Universalis, Christophe GAUCHON, Félix KREISSLER, Paul PASTEUR
    • 34 125 mots
    • 21 médias
    ...de la sympathie humaine, du don de soi libérateur. Ce sera également, malgré la différence de tonalité, la réponse des expressionnistes qui, comme Franz Werfel, projettent d'étendre leur « amitié à toute la terre ». Mais d'autres, comme Georg Trakl (1887-1914), meurent prisonniers de leur désespoir.
  • SÉBASTIEN EN RÊVE, Georg Trakl - Fiche de lecture

    • Écrit par Jacques LE RIDER
    • 861 mots

    À la mi-mars 1914, Georg Trakl (1887-1914) s'est rendu d'Innsbruck à Berlin auprès de sa sœur, avec laquelle il avait noué une relation incestueuse et qu'il avait entraînée sur la pente de la drogue (née en 1891, elle se donnera la mort en 1917). Il écrit alors à Ludwig von Ficker : « Ma vie s'est...

Voir aussi