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GÉOPOLITIQUE

La géopolitique est l'enfant d'une époque, celle du scientisme triomphant et du darwinisme social. De la fin du xixe siècle à la Seconde Guerre mondiale, toute grande puissance ou tout aspirant à la puissance veut fonder ses ambitions sur un quasi-déterminisme géographique ; la géopolitique sert alors à analyser et souvent à justifier les rapports entre puissance et espace. Après la Seconde Guerre mondiale, elle est privée de légitimité parce qu'identifiée au nazisme. En outre, elle semble inutile dans un système international réduit au face-à-face entre deux blocs. Avec le retour d'un échiquier mondial multipolaire à partir des années 1970 et la décomposition du camp soviétique en 1989-1991, la complexité géographique de la politique internationale réapparaît. En même temps, la démarche géopolitique se trouve confrontée à un monde où la technique contracte massivement l'espace et le temps, où les flux économiques paraissent dissoudre la puissance politique et où, enfin, le pouvoir, au lieu d'être concentré dans l'État, se déplace sans cesse. Est-ce la fin de la géographie ? La géoéconomie remplace-t-elle la géopolitique ? La micro-géopolitique, la macro-géopolitique ?

La géopolitique peut être définie comme la discipline qui s'interroge sur les rapports entre espace et politique : en quoi, de quelle manière les réalités géographiques (situation, relief, climat...) influent-elles sur les organisations sociales, les choix politiques ? Et, inversement, comment les hommes utilisent-ils ou même modifient-ils ces réalités pour poursuivre leurs fins ? Tout comme le mot « histoire » désigne à la fois ce qui a eu lieu et l'ensemble des récits faits sur ce passé, le terme « géopolitique » tend à qualifier non seulement un mode d'analyse, une « science » mais aussi un certain type de politique (ainsi parle-t-on de la géopolitique des États-Unis, de la France...).

Une formule célèbre, attribuée à Napoléon, résume l'objet, et les ambiguïtés, de la géopolitique : « Tout État fait la politique de sa géographie. » Napoléon songe, semble-t-il, à l'Angleterre : c'est une île au bord du continent européen ; du fait de cette position, elle ne peut que poursuivre deux buts : s'assurer le contrôle des océans, afin de s'approvisionner librement en matières premières ; veiller à ce que l'Europe reste ouverte aux exportations britanniques et donc ne se constitue pas en un bloc fermé et hostile. Telle est bien, de la fin de la guerre de Cent Ans aux deux guerres mondiales, la politique britannique : conquête d'un vaste empire outre-mer ; lutte contre toute ambition hégémonique européenne. Cependant, d'autres États insulaires n'ont pas adopté la même politique ; ainsi le Japon, lui aussi au flanc d'un continent. Or, jusqu'à la seconde moitié du xixe siècle, le Japon choisit le plus souvent l'autarcie ; son insularité, loin d'en faire un point de passage, lui permet de se clore presque totalement. Le Japon de l'ère Meiji (1868-1912) se lancera dans l'aventure impériale, parce que, l'Occident l'ayant ouvert de force (bombardement du port d'Uraga par l'amiral américain Matthew C. Perry en 1853), il comprend qu'il ne peut survivre qu'en copiant celui qui l'a violé. Ces deux exemples, s'ils soulignent le poids de la géographie sur la politique, mettent tout autant en lumière la complexité, la variabilité des relations entre l'une et l'autre. Or, l'ambition première et sans doute la tragédie de la géopolitique sont de vouloir identifier des lois dans ce domaine.

La géopolitique classique, entre science et puissance

La géopolitique est l'enfant d'une époque, celle couvrant la seconde moitié du xixe siècle et la première moitié du[...]

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Écrit par

  • : conseiller des Affaires étrangères, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris, chargé de mission à l'Institut français des relations internationales

Classification

Pour citer cet article

Philippe MOREAU DEFARGES. GÉOPOLITIQUE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ABE SHINZŌ (1954-2022)

    • Écrit par Céline PAJON
    • 1 066 mots
    • 1 média

    Premier ministre du Japon de 2006 à 2007 puis de 2012 à 2020, Abe Shinzō est détenteur du record de longévité à la tête de l’exécutif nippon. Il a été assassiné par balles lors d’un rassemblement politique à Kashihara, le 8 juillet 2022.

    Né le 21 septembre 1954, Abe Shinzō est issu...

  • AMÉRIQUE LATINE - Évolution géopolitique

    • Écrit par Georges COUFFIGNAL
    • 7 514 mots
    La guerre froide vint renforcer ces données traditionnelles,fournissant une justification géopolitique à une relation de domination jusqu'alors fondée avant tout sur un intérêt national bien compris. Le facteur politico-stratégique va désormais primer sur le facteur économique. Elle rendit aussi...
  • ARCTIQUE (géopolitique)

    • Écrit par François CARRÉ
    • 6 852 mots
    • 2 médias

    L'Arctique, domaine des hautes latitudes boréales, est l'espace compris entre le pôle Nord et une limite méridionale que l'on peut fixer, dans une perspective géopolitique, au cercle polaire arctique, à savoir 660 33' de latitude nord, bien que cette ligne astronomique soit trop...

  • ASIE (Géographie humaine et régionale) - Espaces et sociétés

    • Écrit par Philippe PELLETIER
    • 23 142 mots
    • 4 médias
    ...dégager des divergences ou des convergences et, enfin, le point de vue. La définition socioculturelle, sinon ethnique, d'une Asie est inséparable d'un positionnement géopolitique, implicite ou explicite. Les penseurs européens se sont penchés sur la question d'une « civilisation asiatique » à partir...
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