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LOPE DE VEGA CARPIO FELIX (1562-1635)

Lope de Vega et son double

Face à l'étendue de cette œuvre, on est amené à se demander ce que cherchait Lope dans la création littéraire au-delà d'un bonheur d'écrire souvent manifeste pour le lecteur. Sans doute une image de lui-même, retouchée dans l'autobiographie et sublimée par les grands poèmes où le grise l'illusion d'être Pétrarque, l'Arioste ou Le Tasse. Le poète du naturel, de l'épître familière, de la grâce, y leste en effet son inspiration d'une érudition pesante qui met en joie ses détracteurs. Il se perd dans de labyrinthiques épopées : La Hermosura de Angélica, La Dragontea (1592), Jerusalén conquistada (1609). En dépit de son inimitié envers Góngora, l'influence des Soledades l'incite à écrire des fables mythologiques comme Circé (1624). Il aborde tous les genres romanesques, à l'exception du picaresque : roman pastoral (La Arcadia, 1598), byzantin (El Peregrino en su pátria, 1604), les nouvelles (Novelas a Marcia Leonarda, 1621-1624). Derrière ces entreprises, on devine la fascination exercée par des modèles prestigieux qu'en réalité il ne peut imiter sans aliéner une part de sa personnalité profonde. Celui qui saura prendre ses distances à l'égard de la Poétique d'Aristote et ne cédera pas à l'assaut des pédants accepte aveuglément les lois des genres « nobles ». Il lui faut alors hausser le ton. Lope en quête de son double sublime se perd dans le vide de l'hyperbole. Pourtant, que la veine lyrique propre à son génie vienne à resurgir, et même les plus lourdes machines épiques ou hagiographiques prennent leur envol, traversées un moment de l'inspiration autobiographique ou traditionnelle de celui qui est le plus grand poète lyrique espagnol, même si, pour lui aussi, certains délicats disent : hélas !

Dans les poèmes où il joue de tous les rythmes, des jeux traditionnels du cancionero médiéval aux sonnets de la tradition italienne, sans oublier, bien sûr, les romances, sous les pseudonymes de Belardo ou de Tomé de Burguillos, Lope laisse éclater sa joie d'écrire et de dire l'amour comme la mort, l'émotion mystique après l'exaltation érotique. Lorsque, à la fin de sa vie, Lope de Vega écrit une épopée dont les héros sont des chats, La Gatomaquía (1634), on peut penser qu'il prend congé du double encombrant auquel il dit son fait également dans La Dorotea (1632). Cette action dialoguée, inspirée très librement de La Celestina, est un retour sur les amours avec Elena Osorio. La création du poète Fernando, dernière image autobiographique, est aussi l'occasion pour Lope d'expier avec humour les ridicules de sa jeunesse vaniteuse.

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Écrit par

  • : agrégé d'espagnol, maître assistant à l'U.E.R. d'études ibériques de l'université de Paris-IV

Classification

Pour citer cet article

Bernard GILLE. LOPE DE VEGA CARPIO FELIX (1562-1635) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • AUTO SACRAMENTAL

    • Écrit par Marcel BATAILLON
    • 3 125 mots
    • 1 média
    L'étonnant foisonnement des comédies de Lope de Vega et de ses émules multiplia les sources d'inspiration des autos. Maître Joseph de Valdivielso, théologien poète, fut le premier à pouvoir publier un recueil de Douze Autos sacramentales et douze comédies divines (1622). Il exploite...
  • COMEDIA, Espagne

    • Écrit par Charles Vincent AUBRUN
    • 2 605 mots
    ...théâtre érudit à l'imitation de Plaute ou de Sénèque ; et enfin une farce populaire donnant dans la caricature et le divertissement dansé rustique. Lope vint, qui avait essayé sa plume dans quelques-unes de ces formes. En 1607, il lit dans une académie de Madrid – un salon littéraire – son ...
  • ESPAGNE (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par Jean CASSOU, Corinne CRISTINI, Jean-Pierre RESSOT
    • 13 749 mots
    • 4 médias
    ...dans la poésie mélodique, éperdument éprise de nature et de délectable paix, de fray Luis de León (1527-1591), lui aussi tout nourri d'Antiquité. Lope de Vega, dont l'œuvre lyrique est immense, emploiera aussi la poésie à une réflexion sur les incertitudes de sa fortune personnelle et à l'expression...
  • FUENTEOVEJUNA, Felix Lope de Vega - Fiche de lecture

    • Écrit par Bernard SESÉ
    • 812 mots

    Comme Peribañez et le Commandeur d'Ocaña (1614), ou Le Meilleur Alcade, c'est le roi (1635), deux pièces composées par le grand dramaturge espagnol Felix Lope de Vega Carpio (1562-1635), Fuenteovejuna est un drame de commandeurs. Écrite vers 1612-1614 vraisemblablement, cette pièce...

Voir aussi