Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

DIONYSOS, mythologie

Dionysos - crédits : Encyclopædia Universalis France

Dionysos

Longtemps tenu pour un dieu étranger, venu de la Thrace, qui aurait été la patrie de l'orgiasme, introduit en Grèce par ses missionnaires et ses dévots, Dionysos est en réalité un dieu qui signifie l'ailleurs et qui désigne l'Autre. Étrange et familier, mais présent dans le panthéon grec de longue date (les tablettes mycéniennes de Pylos ont livré son nom à côté des puissances reconnues de l'Olympe).

Composante essentielle de la religion grecque, Dionysos n'est jamais entièrement inscrit dans la cité. Ses temples y sont rares. Et il est plus souvent devant la cité qu'au-dedans. Dionysos est en relation privilégiée avec la nature non civilisée, avec les puissances du monde sauvage. Tout un aspect du mysticisme qui se réclame de lui met en valeur ce refus du politique et des valeurs de la vie socialisée. Le partage se fait en termes culinaires : la cité incite à manger la viande cuite d'animaux domestiques, sacrifiés selon les règles qui prévoient la part des dieux et celle que les hommes peuvent obtenir. Dans le dionysisme, le modèle est l'omophagie : manger crues les chairs d'une victime animale capturée et déchiquetée au terme d'une poursuite sauvage. On sort ainsi du système qui fonde la condition humaine dans un double rapport : avec les dieux et avec les animaux. Dionysos entraîne ses fidèles dans une nature extérieure à la cité, où les bêtes, les hommes et les dieux se confondent, et sont interchangeables. Les Bacchantes se conduisent comme des bêtes féroces, et Agavé rapporte la tête de son fils traqué par la meute des femmes dont elle dirige la course. L'omophagie entraîne à se comporter comme Dionysos, « mangeur de chair crue » : l'homme est tour à tour bête et dieu.

À l'extrême, Dionysos contraint à l'anthropophagie. On bascule dans un temps antérieur à la société, où les hommes se mangent entre eux, comme font les bêtes sauvages. Mais en brouillant les frontières, Dionysos montre le caractère interchangeable des extrêmes établis par la pensée politico-religieuse : le plan de la bestialité se confond avec l'âge d'or. Le dieu mangeur de chair humaine naît dans la terre parfumée des aromates, et le miel coule avec le lait de la terre que foulent de leurs pieds les Ménades. Dionysos, enfant et souverain d'un monde avant la différence, trouve dans l'orphisme une place majeure qui oriente toute une part de sa définition mystique. Victime malheureuse des Titans qui le mettent à mort, le font bouillir et rôtir comme un vulgaire animal de sacrifice, Dionysos renaît pour inaugurer le règne de l'Unité, antérieur au temps de la différence dont le sacrifice alimentaire et sanglant de la religion officielle est la marque et la consécration. La sixième génération se referme sur la première, et Dionysos, dieu enfant, se confond avec Prôtogonos, le Premier-Né, appelé aussi Phanês, celui dont la puissance, englobant le multiple et l'un, efface le partage traumatisant entre les dieux et les hommes.

— Marcel DETIENNE

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)

Classification

Pour citer cet article

Marcel DETIENNE. DIONYSOS, mythologie [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Dionysos - crédits : Encyclopædia Universalis France

Dionysos

Autres références

  • CHUVIN PIERRE (1943-2016)

    • Écrit par Maurice SARTRE
    • 943 mots

    Helléniste de l’Antiquité tardive et spécialiste du monde turcophone, Pierre Chuvin est né le 18 juillet 1943 à Saint-Angel (Allier) et décédé le 26 décembre 2016. Agrégé de lettres classiques en 1966, il est recruté comme assistant de grec à l’université de Clermont-Ferrand où il a étudié. Il choisit,...

  • DELPHES

    • Écrit par Bernard HOLTZMANN, Giulia SISSA
    • 9 618 mots
    • 9 médias
    ...orifice peut-être naturel, le laurier sacré d'Apollon, sa statue en or, l'omphalos protégé par un baldaquin et, plus extraordinaire encore, la tombe de Dionysos, dont la nature héroïque se trouve ainsi affirmée au cœur même du sanctuaire d'Apollon. La contiguïté topographique de deux divinités à la personnalité...
  • DIONYSIES GRANDES

    • Écrit par Robert DAVREU
    • 348 mots
    • 1 média

    Les grandes dionysies ou dionysies urbaines sont les plus imposantes des trois grandes fêtes de Dionysos (les deux autres sont les lénéennes et les petites dionysies champêtres). Apparues à Athènes au ~ vie siècle, elles seront vite célébrées avec éclat dans toutes les cités de quelque importance,...

  • ÉLEUSIS

    • Écrit par Marie DELCOURT
    • 2 030 mots
    ...comme la personnification d'un cri rituel : il est nommé fils de Dèmèter et de Zeus dans un hymne orphique, et on le trouve, à Éleusis, identifié à un Dionysos parèdre de la déesse et conducteur des mystères. La triade Dèmèter-Dionysos-Korè figure sur des inscriptions d'Éleusis et sur des lamelles d'or...
  • Afficher les 17 références

Voir aussi