CONDITIONS DE L'ÉDUCATION (M.-C. Blais, M. Gauchet, et D. Ottavi) Fiche de lecture
Paru en octobre 2008, Conditions de l'éducation se veut un ouvrage collectif de philosophie politique. Le diagnostic est radical : ce sont les conditions de possibilité même de l' « entreprise éducative » qui sont remises en question par l'évolution sociétale. Quatre « fronts d'analyse » sont ouverts par les auteurs : la relation de la famille à l'école ; le sens actuel des savoirs ; la fonction de l'autorité ; l'articulation de la société et de l'école.
La famille de toute évidence n'est plus dans la connivence avec l'école, elle a profondément changé. Dans une société de l'accomplissement de soi, où on se demande ce qu'est un adulte, la famille se recentre sur elle-même et sur l'enfant, pivot de la vie quotidienne. Elle se coupe de la société, affiche une certaine défiance voire un rejet de l'école, dont on ne perçoit plus très bien les missions, et qui apparaît plus comme un problème que comme une solution. La famille résiste à l'éducation, et la culture des affects, sans la hiérarchie générationnelle, laisse en plan la construction du respect moral.
Les savoirs ont perdu leur sens. Jusqu'aux enseignements littéraires et scientifiques qui sont reçus en extériorité. L'individualisation globale de la société condamne à mort sinon au silence le passé et récuse toute précédence symbolique du collectif. Cette « détraditionnalisation » vide les savoirs de leur sens intime, de leur pouvoir émancipateur. L' « être bien dans sa peau » prend le pas sur le « se prendre la tête ».
L'autorité est battue en brèche, voire remisée au rang des mythes occidentaux, alors qu'elle garantit des fonctions de légitimité, de croyance, d'appartenance, d'interdépendance et de liberté. Elle permet au quotidien la représentation de l'histoire humaine, et son incarnation, sa symbolisation. Est-ce la fin de l'autorité, ou sa métamorphose ? L'autorité traditionnelle a été justement contestée par les méthodes nouvelles en pédagogie, ou par les recherches en sciences humaines. Elle reposait sur un statu quo irrationnel susceptible de permettre tous les abus. Démystifiée, elle peut aider à fonder la question scolaire.
Il resterait par conséquent à « refonder » l'éducation, en sortant du dilemme opposant les savoirs et les méthodes, les « républicains » et les « pédagogues ». C'est surtout John Dewey par son école expérimentale de Chicago qui est appelé à la rescousse, avec son interrogation sur l' « expérience de l'enfant », sur la « vie ordinaire ». L'éducation « nouvelle » est une éducation expérimentale fondée sur la réalité sociale. Pour autant, c'est bien l'enfant qui détient la clé de ses apprentissages, en dernier lieu. Devant la crise, il faut alors faire que l'éducation ne soit pas rabattue sur l'instruction, par un réflexe d'autodéfense « scolaire ».
Nous retrouvons dans ce livre la thématique chère à Marcel Gauchet de l'individualisation de la société, entraînant la déstructuration de l'idéalisation, du symbolique. C'est dans une approche négativiste en « dés-» que se donnent l'état social, voire la conscience sociale. Il est alors difficile de restaurer une école « active » et signifiante. C'est plus avant, dans les sciences humaines et la psychanalyse « appliquées » à l'école qu'il y a matière à chercher davantage la réponse.
Marie-Claude Blais montre bien le désarroi des familles et évoque un problème qui nous semble majeur, le fait que ce sont plutôt les garçons qui sont touchés substantiellement par cette crise éducative. Indication d'une mutation épistémique du « sexuel », ou si l'on préfère des places assignées aux genres, qui dans la mondialisation actuelle n'est pas réductible à un phénomène de « sur-individualisation ». Il ne nous semble pas d'ailleurs que les spécialistes de la famille aient ce regard générique et perplexe sur l'état des familles.
De même quant à l'autorité, nous restons sur notre faim. De nombreuses études et livres sont absents. Les débats ne se réduisent pas au pour ou contre l'autorité ! Celle-ci, refondée sur des compétences, s'exerce tous les jours dans les classes de pédagogie active, ou « institutionnelle ». L' « autorisation » se construit à plusieurs, dans des institutions démocratiques partagées.
Dominique Ottavi tente, elle, de mobiliser Cousinet, Freinet, Piaget, aux côtés de Dewey, mais les écrits les plus pertinents de ces mêmes auteurs, et des pédagogues de l' « autre école » ne sont pas convoqués. Le parti pris de ne pas mettre l'école en question trouve ici ses limites. Presque plus personne ne conteste la nécessité d'une métamorphose non de l'autorité mais de l'école, par une réelle intégration de ses méthodes et de ses contenus. Des auteurs le montrent depuis plus d'un siècle.
On regrette enfin que le politique ne l'emporte pas, et que l'on passe trop vite sur l'expérience de l'enfant, sur les rythmes et la vie scolaire, explorés plus avant par d'autres auteurs. Les structures du scolaire et leur responsabilité ne sont pas questionnées. À vouloir trop taire les problèmes de l'école, on suspend l'alternative même d'une autre école, qui pourtant fait dans la marge ses preuves tous les jours.
Enfin, on reste sur une problématique occidentale, très franco-française qui plus est, en fait déjà dépassée par un nouveau monde interculturel, au cœur d'une inéluctable et violente mondialisation. La refonte des idéaux humains est au programme d'une autre société et d'une autre école : les transcendances sont sans doute à refaire.
Accédez à l'intégralité de nos articles
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jacques PAIN : professeur des Universités en sciences de l'éducation à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification
Voir aussi