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MARLOWE CHRISTOPHER (1564-1593)

Christopher Marlowe - crédits : GL Archive / Alamy / Hemis

Christopher Marlowe

Le plus turbulent des university wits, poète éblouissant et homme d'action, homme de pensée et duelliste, nourri des Anciens et tout brûlant d'idées modernes, le plus ambitieux sans doute aussi, contestataire et disciple de Machiavel, enfant terrible de l'époque, emprisonné pour rixes dans la rue, dont l'une a coûté la vie à un homme, interpellé par le Conseil privé pour athéisme et sacrilège, chargé de missions secrètes par le Service d'espionnage, traitant de sots tous ceux qui n'aiment pas le tabac ou les garçons, auteur d'un poème érotique rivalisant avec Ovide et de pièces fracassantes qui connaissent un succès fou : tel nous apparaît ce Marlowe légendaire qui, à vingt-neuf ans, trouva la mort dans une taverne, à Deptford, par la lame de son propre poignard qu'un compagnon de débauche ou d'espionnage — Ingram Frizer — lui enfonça dans l'œil en état de légitime défense. C'est la vie et la mort idéales pour un élisabéthain : vie pleine, riche, ascendante, puis la fin réservée à d'Amville dans La Tragédie de l'athée de Tourneur, lequel se tue en maniant la hache du bourreau dont il veut décapiter son ennemi : la fin d'un homme qui s'affirme en face du mal et du destin.

Fils d'un cordonnier de Canterbury, brillant élève de l'École du roi dans cette ville, il entre à dix-sept ans comme boursier du fils de l'archevêque, à Corpus Christi, Cambridge, université où s'agitent beaucoup d'idées, en marge des disputations académiques : on y lit Machiavel et l'Arétin, la vieille astronomie est contestée au nom de Copernic et de Tycho Brahe, Platon y resurgit face à Aristote, et Ramus (1515-1572) y trouve des disciples. Au lieu de se faire les serviteurs de Dieu, on se fera fournisseurs du diable (la poésie, les théâtres) : ainsi John Lyly (1554-1606) invente une forme nouvelle de préciosité ; George Peele (1558-1596) écrit des vers suaves ; Robert Greene (1558-1592), des pamphlets venimeux ; Thomas Nashe (1567-1601), une prose robuste ; Thomas Lodge (1557-1625) fait dans le romanesque. Marlowe, l'aîné, est le plus brillant de ces conquistadors de la plume et du tréteau. À peine est-il master of arts (1587) qu'il débute par une tragédie-fleuve en deux parties, Tamerlan le Grand (Tamburlaine the Great, 1590), qui raconte, avec une verve d'épopée, les foudroyantes conquêtes du berger scythe, Tamerlan. Les villes tombent, les trônes roulent à ses pieds « comme feuilles mortes », il met les rois vaincus en cage et les attelle à son char, il conquiert la plus belle des femmes, Zénocraté la divine ; il prétend enchaîner le destin, faire tourner la roue de la Fortune et s'assurer l'immortalité. À sa libido dominandi s'adjoint une libido sciendi, celle qui va perdre Faust, mais livrer à l'homme les secrets de l'univers et le pousser infatigablement vers l'avenir : « Nos âmes, dont les facultés peuvent comprendre la merveilleuse architecture du monde, et mesurer le cours des planètes errantes, et qui toujours s'élancent vers la connaissance infinie, sans cesse en action comme les sphères mouvantes, nous forcent à nous employer sans jamais prendre de repos » (Tamerlan, I, 872-7). Ambition démesurée, orgueil resplendissant : tel est Tamerlan, tel est Marlowe, tel est aussi l'esprit nouveau dont cette première pièce est le symbole éclatant.

Tout le théâtre de Marlowe joue sur ces thèmes, passion de pouvoir, de savoir et de jouir, bien sûr, des choses conquises : la couronne, qui fait d'un roi l'égal d'un dieu ; les clés de l'univers, qui assurent la souveraineté sur la matière ; les facultés affectives, qui permettent de goûter les fruits de la terre et les extases charnelles, et les spirituelles, qui conduisent aux extases au contact de la beauté.[...]

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Écrit par

  • : doyen honoraire de la faculté des lettres et sciences humaines d'Aix-en-Provence

Classification

Pour citer cet article

Henri FLUCHÈRE. MARLOWE CHRISTOPHER (1564-1593) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Christopher Marlowe - crédits : GL Archive / Alamy / Hemis

Christopher Marlowe

Autres références

  • EDWARD II et RICHARD II (C. Marlowe et W. Shakespeare)

    • Écrit par Raymonde TEMKINE
    • 1 662 mots

    Deux drames historiques joués en 1996 nous ont fait revivre un grand pan de l'histoire de l'Angleterre au Moyen Âge, deux époques de guerres étrangères (menées contre l'Écosse, l'Irlande, la France) et, surtout, civiles : les féodaux s'y affrontent à des rois faibles et méprisés pour leur prodigalité...

  • CHAPMAN GEORGE (1559 env.-1634)

    • Écrit par Hubert HARDT
    • 435 mots

    Poète, dramaturge et traducteur de l'époque élisabéthaine. Celui que Shakespeare nommait, non sans quelque ironie, son rival se croyait inspiré des dieux et plus particulièrement pour traduire Homère. C'est d'ailleurs, sans doute, le premier titre de gloire de George Chapman. Travail d'envergure qui...

  • LE DOCTEUR FAUST, Christopher Marlowe - Fiche de lecture

    • Écrit par Line COTTEGNIES
    • 806 mots
    • 1 média

    L'auteur de The Tragical History of Doctor Faustus (créée entre 1588 et 1592, première publication en 1604) est un personnage presque aussi mythique que son héros : poète et dramaturge talentueux, espion, grand amateur de vin et de garçons, intellectuel proche des milieux de libres-penseurs,...

  • ÉLISABÉTHAIN THÉÂTRE

    • Écrit par Henri FLUCHÈRE
    • 10 600 mots
    • 2 médias
    Robert Greene (1558 env.-1592), Thomas Nashe (1567-1601) et Christopher Marlowe (1564-1593) sortent, eux, de Cambridge. Greene et Nashe sont plus satiristes qu'hommes de théâtre. Le premier est célèbre par sa vie dévoyée et l'attaque qu'il lança contre Shakespeare dans sa confession rédigée avant...
  • FAUST

    • Écrit par André DABEZIES
    • 3 901 mots
    • 7 médias
    ...populaire (Volksbuch) connut vingt-deux éditions allemandes de 1587 à 1598 (plus diverses imitations jusqu'en 1725). De la traduction anglaise, Christopher Marlowe tira le sujet d'un de ses meilleurs drames, La Tragique Histoire du docteur Faustus, joué à Londres peu après 1590. Faust est...

Voir aussi