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JUNG CARL GUSTAV (1875-1961)

Jung et l'alchimie

Jung a dû attendre quinze ans pour parler de l'individuation : il voulait pouvoir relier un processus aussi déroutant à des antécédents historiques, à des récits présentant des dépassements de l'ego sans les limitations et les projections de la pensée théiste. Le premier chaînon lui fut fourni en 1928 par un traité d'alchimie taoïste, Le Mystère de la fleur d'or, qui décrit une « révolution de la lumière » ayant pour terme l'éclosion d'un germe « immortel ». Mais c'est seulement lorsqu'il eut commencé de déchiffrer les énigmes de l'alchimie occidentale qu'il eut le sentiment d'avoir situé sa psychologie et défini son rôle historique.

Les opposés coexistaient au sein de la divinité, tant dans l'Ancien Testament que dans le paganisme : ainsi le livre de Job présente Satan comme un des fils de Dieu debout devant l'Éternel. La différenciation chrétienne a séparé radicalement les contraires, comme par un glaive, et rejeté le mal dans les ténèbres extérieures. Pourtant, il s'est trouvé à toutes les époques des hommes épris d'unification. Succédant au gnosticisme, l'alchimie leur a fourni un cadre plus vaste que l'orthodoxie, où ils ont pu mener leur entreprise. Le Christ est le Dieu-Esprit qui descend du ciel et s'incarne ; la pierre philosophale est une matière obscure et vile où l'esprit divin, dont elle porte le germe, s'épanouira en son temps. À une époque où la matière demeurait pleine d'inconnu, l'alchimiste projetait l'image de l'inconscient dans un corps de son choix et s'efforçait d'y réaliser la transmutation à base de réconciliation des opposés dont la nostalgie l'habitait. Toutefois, les véritables adeptes avaient conscience de la portée de leur œuvre. Ils se donnaient le titre de philosophes et ne cessaient de proclamer que leur or n'est pas l'or du vulgaire (aurum non vulgi), que leur joyau est une pierre d'invisibilité et d'immortalité. De même que l'individuation, le grand œuvre s'étend sur de longues années. C'est un mouvement circulaire, une rotation au cours de laquelle on voit apparaître des couleurs successives, dont les principales sont le noir (qui évoque l'angoisse de la dissolution de la conscience), le blanc et le rouge (lumière de la conscience renouvelée et devenue opérante). Chaque auteur a son chemin propre, ce qui est encore un trait commun avec l'individuation. Ainsi l'alchimie a permis pendant plus de quinze siècles à l'âme chrétienne d'exprimer sans trop de risques les formes les plus spontanées et les plus complètes de son développement, et de réaliser dans le secret du cœur l' apocatastasis, la restauration de l'harmonie originelle, la guérison de la blessure ouverte au sein de la divinité, le pardon de Satan annoncé par Origène et condamné comme hérétique par l'Église. La pratique psychologique montre que les matériaux livrés par l'inconscient de l'homme moderne traduisent, de leur côté, une volonté de rapprocher les pôles ennemis. Jung revient plusieurs fois sur le songe d'un jeune théologien qui se voit assisté dans sa recherche intérieure par deux « mages » qu'il sait être le mage blanc et le mage noir. Or le mage blanc est vêtu de noir et le mage noir est vêtu de blanc. C'est ce dernier qui apporte au rêveur « la clé du paradis ». Le bien et le mal tendent donc à s'épouser étroitement et à former deux figures complémentaires analogues au Yang et au Yin chinois, principes opposés dont la réunion en un cercle représente la divinité, le Tao, la Voie. Les rêves véhiculent fréquemment à notre époque des images alchimiques inconnues du sujet. C'est ce qui explique que Jung n'ait cessé au cours de ses vingt-cinq dernières années de faire, dans ses œuvres, une place toujours plus grande au symbolisme[...]

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Pour citer cet article

Étienne PERROT. JUNG CARL GUSTAV (1875-1961) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Jung - crédits : Dmitri Kessel/ The LIFE Picture Collection/ Getty Images

Jung

Autres références

  • LE LIVRE ROUGE (C. G. Jung) - Fiche de lecture

    • Écrit par Michel CAZENAVE
    • 1 051 mots
    • 1 média

    Voici des décennies que le « Livre rouge » de Carl Gustav Jung représentait une véritable légende dans les milieux de la psychologie. Ses héritiers ont enfin permis sa publication, en en confiant le soin à Sonu Shamdasani, de l'université de Londres, l'un des meilleurs connaisseurs au monde...

  • ANAMNÈSE

    • Écrit par Georges TORRIS
    • 408 mots

    Issu des mots grecs ána (remontée) et mnémè (souvenir), l'anamnèse signifie rappel du souvenir. Pour Platon, elle est la restauration de l'idée contemplée, avant l'incarnation, par l'âme humaine dans le ciel des idées et dont le souvenir serait resté inconscient...

  • ANIMUS & ANIMA

    • Écrit par Alain DELAUNAY
    • 1 034 mots
    • 1 média

    Le couple anima-animus joue un rôle important dans la « psychologie des profondeurs » de Carl Gustav Jung. Il s'agit d'une résurgence de deux termes du corpus de la philosophie médiévale. On les rencontre chez de nombreux auteurs, notamment Guibert de Nogent, où généralement ils désignent,...

  • ARCHAÏQUE MENTALITÉ

    • Écrit par Jean CAZENEUVE
    • 7 048 mots
    D'un point de vue fort différent, mais qu'un de ses disciples, Charles Baudouin, devait relier au courant bergsonien, le psychanalyste Carl Gustav Jung a bien souvent signalé la parenté entre la mentalité primitive et l'instance psychique, qu'il nomme l'inconscient collectif. Un autre de ses disciples,...
  • ARCHÉTYPE

    • Écrit par Henry DUMÉRY
    • 274 mots

    On appelle archétype un modèle idéal, un type suprême ou un prototype : dans ce sens, les Idées chez Platon sont le modèle en même temps que le fondement des choses. Bien d'autres philosophes (Malebranche, Berkeley, mais aussi Locke et Condillac) ont parlé d'archétypes. Cependant, c'est un psychanalyste,...

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Voir aussi