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CANTATE

La cantate profane de concert

Lorsque la cantate de chambre prend des proportions plus grandes, elle dépasse les limites du salon, où elle se confinait, et gagne l'estrade des salles de concert. Encore faut-il ne jamais oublier que les concerts, en cette époque lointaine, ne touchent qu'une infime minorité, puisque le « grand public », celui qui va aujourd'hui au concert, n'existe point encore. Il ne s'agit donc pas, pour la cantate, de changer d'utilisateur : c'est toujours le même monde de privilégiés qui est le client normal des compositeurs, sauf de très rares exceptions. C'est donc seulement une question de dimension qui distingue la cantate de chambre de la cantate profane de concert. Cette dernière devient une sorte de petit opéra, privé des prestiges de la scène, dans lequel la musique joue un rôle d'autant plus important qu'il n'y a point de décors pour situer l'intrigue. Toutes proportions gardées, la cantate, œuvre de « musique pure » dans la mesure où le jeu scénique n'existe pas, est comparable aux œuvres conçues pour la radiodiffusion, et dans lesquelles l'expression, dans sa totalité, vient de la musique, et de la musique seule. Les Diletti pastorali de Schein, les Cantaten de Caspar Kittel, les Arien de Heinrich Albert – toutes œuvres imitées de l'italien – montrent de quelle faveur la cantate de concert jouit dès la première moitié du xviie siècle en Allemagne. Plus tard, et toujours en Allemagne, cette « grande cantate » trouvera de merveilleux illustrateurs avec Telemann, Keiser, Hasse, Haendel, les deux Haydn, Mozart lui-même, sans parler de quelques œuvres de Bach. En réalité, c'est en France que ce genre va rencontrer sa forme la plus riche et la plus flatteuse. Entre 1680 et 1750, de nombreux compositeurs français s'attaquent, en effet, avec succès au genre. Ils y mettent tout ce qu'une époque, raffinée s'il en fut, leur suggère ; de plus, cette période coïncide exactement avec l'épanouissement du classicisme musical. On sait que la littérature et la musique sont en perpétuel décalage dans leur évolution. Plus d'un quart de siècle et parfois cinquante années séparent une œuvre littéraire de son équivalent musical. Lully est à un demi-siècle de distance de Malherbe, Monteverdi vient cinquante ans après Ronsard, et Rameau ou Bach écrivent leurs grands chefs-d'œuvre quarante à cinquante ans après Racine et Molière. C'est d'ailleurs ce qui explique l'hiatus qui existe entre le texte de Molière, par exemple, et la musique que Lully compose pour lui. Alors que la grande école classique, en littérature, vient à sa pleine efflorescence de 1670 à 1680, les grands classiques musicaux, eux, ne commencent pas avant 1720 (Rameau naît en 1683, Bach, Haendel et Domenico Scarlatti naissent en 1685). De Marc Antoine Charpentier à Rameau, en passant par Destouches, Monteclair, Clérambault, Campra ou Boismortier, l'école française produit de véritables chefs-d'œuvre dans un genre qui, traité par ces compositeurs, tend à devenir un opéra de salon complet, avec airs, récitatifs, ensembles, chœurs, et épisodes orchestraux descriptifs. À l'époque, la cantate était considérée comme le domaine privilégié où pouvaient se mêler étroitement, en une synthèse idéale, la vivacité du style italien et la délicatesse du style français.

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Écrit par

  • : directeur de l'École normale de musique de Paris, critique musical, directeur musical à R.T.L.

Classification

Pour citer cet article

PIERRE-PETIT. CANTATE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CARISSIMI GIACOMO (1605-1674)

    • Écrit par Philippe BEAUSSANT
    • 886 mots

    Figure marquante de la musique du xviie siècle, Giacomo Carissimi a exercé son influence non seulement en Italie, mais dans l'Europe entière. Parmi ses élèves, on compte Bassani, Cesti, Bononcini, Scarlatti (Alessandro), le Français Marc-Antoine Charpentier, les Allemands Johann Philip Krieger,...

  • CESTI ANTONIO PIETRO (1623-1669)

    • Écrit par Universalis
    • 403 mots

    Antonio Pietro Cesti est, avec Francesco Cavalli, l'un des principaux compositeurs italiens du xviie siècle.

    Baptisé le 5 août 1623, à Arezzo, en Toscane, Antonio Pietro Cesti (qui adoptera comme prénom Marc'Antonio) étudie à Rome et est ordonné prêtre. Il s'établit en 1651 à Venise, où son...

  • CLÉRAMBAULT LOUIS NICOLAS (1676-1749)

    • Écrit par Pierre-Paul LACAS
    • 349 mots

    Compositeur, claveciniste, organiste, et le maître de la cantate française. Son père, Dominique (1644-1704), fut l'un des « vingt-quatre violons du roy » (la famille était au service des rois de France depuis Louis XI). Louis Nicolas, élève de J.-B. Moreau et d'A. Raison (à qui il succéda à la tribune...

  • GARDINER JOHN ELIOT (1943- )

    • Écrit par Pierre BRETON
    • 1 052 mots
    • 1 média
    L’impressionnante discographie de John Eliot Gardiner compte plus de 250 albums. Bach, avec une monumentale intégrale de ses cantates sacrées (56 CD enregistrés en public pour le label Soli Dei Gloria), ses messes, passions et motets en constitue le centre de gravité. La pratique du chantchoral...
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