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AUTONOMIE (sociologie)

Étymologiquement, la notion d’autonomie renvoie au fait de se donner à soi-même sa propre loi, ses propres règles. Elle est centrale dans la philosophiemorale – kantienne notamment – et sert de critère pour départager ce qui est moral de ce qui ne l’est pas. Plus fondamentalement encore, on a pu considérer que la conquête d’une autonomie par rapport aux vérités révélées, aux dogmes et à toutes les formes d’autorité était emblématique d’un processus historique dont les Lumières seraient le moment fondateur. Pour Kant en effet, « les Lumières sont l'émancipation de l'homme de son immaturité dont il est lui-même responsable. L'immaturité est l'incapacité d'employer son entendement sans être guidé par autrui ».

Une notion clivante en sociologie

En sociologie, cette notion d’autonomie cristallise de nombreuses controverses en départageant les sociologues qui mettent l’accent sur les capacités d’agir, de penser, les compétences propres et la réflexivité des acteurs sociaux (Luc Boltanski, Cyril Lemieux) et ceux qui, comme Pierre Bourdieu, montrent l’importance de ce qui est transmis et acquis (habitus, dispositions, etc.) dans les processus de socialisation des agents sociaux, assurant ainsi au monde social une stabilité forte. Ces conceptions divergentes de l’acteur social comme un individu plus ou moins autonome par rapport à ce qui lui est transmis et/ou imposé de l’extérieur (par différentes institutions) clive la sociologie depuis ses débuts et dessine une ligne de fracture traditionnelle. Ainsi, le geste fondateur d’Émile Durkheim consiste à montrer que même l’acte le plus individuel – un suicide – peut être analysé comme un phénomène social et que le plus intime ne relève pas (en totalité en tout cas) de la volonté propre d’un individu autonome.

Aujourd’hui, le travail de Vincent Descombes poursuit cette réflexion en montrant comment tout individu est plongé dans un monde social composé de ce qu’il appelle les institutions du sens dont il est intimement dépendant. Nicolas Mariot quant à lui développe une sociologie du conformisme, héritière de cette tradition critique à l’égard de cette notion d’autonomie : « l’objectif de réaffirmation de l’autonomie de la volonté des acteurs peut avoir des arrière-plans politiques de nature très différente : ils vont du fait de mettre en lumière l’autonomie des classes populaires même dans des fêtes orchestrées et verrouillées par les dominants – comme dans l’analyse du charivari par Edward P. Thompson –, jusqu’à montrer que, même dans les pays du bloc ex-soviétique (au hasard), les acteurs ordinaires étaient moins soumis qu’il n’y paraît de prime abord. Mais comme on le constate, si le continuum politique est large, il va dans le même sens : on travaille presque toujours à retrouver de l’autonomie derrière le conformisme, rarement à montrer en quoi le repos sur les institutions est une attitude bien plus fréquente qu’on ne l’imagine, y compris chez les plus militants, puisqu’ils sont aussi les plus habitués aux rouages de l’action collective ».

La notion d’autonomie est donc principalement mobilisée pour mettre en lumière les marges de manœuvre qui subsistent même au sein d’institutions contraignantes – comme les « institutions totales » analysées par Erving Goffman ou dans des conditions de travail extrêmement réglementées – ainsi du phénomène de « freinage » mis en lumière par Donald Roy. Pour sa part, l’historien Alf Lüdtke étudie les « pratiques de désengagement conflictuel qui ne relèvent ni de la soumission à la domination ni de la résistance ouverte. Ces modes d'expression et d'action reflètent plutôt les aspirations des ouvriers vers une affirmation autonome et spécifique de leurs propres exigences ».

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Écrit par

  • : chargé de recherche en sociologie au C.N.R.S., Centre universitaire de recherches sur l'action publique et le politique, université de Picardie Jules Verne

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Pour citer cet article

Romain PUDAL. AUTONOMIE (sociologie) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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