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ANTHROPOCÈNE

L’Anthropocène, une vision du futur

On ne ressent pas le besoin de fonder une nouvelle ère géologique uniquement pour décrire ce qui s’est passé (ce qui est le fondement de la démarche des géologues lors de la définition des époques géologiques, ou ères), mais également pour prédire ce qui pourrait advenir. La géologie sert, dès lors, d’outil pour évaluer l’évolution et les conséquences de l’empreinte des activités humaines sur l’ environnement. On se sert notamment du niveau des océans ou du taux de CO2 dans l’atmosphère (obtenu par l’examen d’échantillons anciens) pour déterminer comment le système géoclimatique pourrait réagir à l’augmentation des rejets de gaz à effet de serre. Le comportement passé de la planète est également sollicité pour déterminer la probabilité (ou la possibilité) d’un feedback imprédictible. Par exemple, on essaie d’évaluer les conséquences, difficilement mesurables, de la libération du méthane piégé dans les sédiments océaniques ou dans le permafrost. En accélérant le réchauffement climatique, ce méthane augmenterait l’ampleur des conséquences des activités humaines sur le réchauffement climatique. Même s’il évoque les œuvres fantastiques ou de science-fiction dans lesquelles l’arrogance humaine déchaîne des monstres incontrôlables et destructeurs, le scénario est loin d’être invraisemblable.

Ce n’est pas la première fois que les scientifiques s’inquiètent de l’avenir de l’humanité et tentent d’alerter l’opinion sur les dangers encourus. L’« horloge de la fin du monde », imaginée en 1947 par un groupe de chercheurs ayant participé au projet Manhattan de création de la bombe A, avait pour but de sensibiliser le public aux dangers de la guerre nucléaire. Le cadran représente la durée de la vie de l’humanité, minuit symbolisant son extinction. En 1947, les chercheurs ont pour la première fois réglé les aiguilles sur 7 minutes avant minuit, signifiant l’imminence d’une apocalypse. Depuis 1947, on a modifié 21 fois ce compte à rebours pour tenir compte des soubresauts géopolitiques. En 1968, l’horloge est de nouveau réglée à 23 h 53, tenant compte des inquiétudes soulevées par les guerres du Vietnam et de Six Jours, et par le conflit indo-pakistanais, l’accession de la France et de la Chine à l’arme nucléaire pesant également dans ce choix. En 1991, le Traité de réduction des armes (S.T.A.R.T. I) permet un regain d’optimisme et l’on recule l’heure fatidique à 23 h 43. Sur l’horloge, l’humanité s’approche de nouveau de la fin du monde en 2010, lorsqu’on intègre la menace du réchauffement climatique, et en 2015, traduisant l’absence de prise en compte réelle des problèmes climatiques et de la modernisation des arsenaux nucléaires américains et russes. L’horloge indique depuis lors 23 h 57...

Le succès du mot Anthropocène n’est pas le fait de seuls géologues spécialisés en stratigraphie. Repris par de nombreux spécialistes, par des militants environnementalistes et par les médias, il symbolise, au même titre que l’horloge de la fin du monde, l’angoisse pour le futur de l’humanité. Il est cependant frappant de constater que ces deux notions intègrent très peu (ou mal) les questions sociales et politiques. Notre époque, par exemple, est marquée par la vertigineuse augmentation des inégalités sociales : d’après l’Oxfam (Oxford Committee for Famine Relief), elles sont accrues pour 70 p. 100 de la population mondiale ; en 2017, 1 p. 100 des hommes détiendra plus de la moitié des richesses du globe. Cette dégradation n’est certainement pas porteuse de stabilité politique ; elle assombrit le tableau des menaces environnementales. Pourquoi ne pas prendre en compte ce type de problématique ? La compréhension des questions environnementales que soulève la notion d’Anthropocène nécessite une approche transdisciplinaire et une meilleure[...]

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Écrit par

  • : docteur en sciences de l'environnement, historienne des sciences et de l'environnement, chercheuse associée au laboratoire SPHERE, CNRS, UMR 7219, université de Paris-VII-Denis-Diderot

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Pour citer cet article

Valérie CHANSIGAUD. ANTHROPOCÈNE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Vue d'artiste des premiers agriculteurs indiens - crédits : Library of Congress, Washington, D.C.

Vue d'artiste des premiers agriculteurs indiens

Rivage pollué de débris d’origine humaine - crédits : Education Images/ Universal Images Group/ Getty Images

Rivage pollué de débris d’origine humaine

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