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POUCHKINE ALEXANDRE SERGUEÏEVITCH (1799-1837)

Les formes

L'œuvre de ces années de maturité se caractérise par la variété des genres qu'elle aborde successivement. Dans le domaine lyrique, le romantisme a affranchi Pouchkine de l'épicurisme de convention de ses premiers maîtres français et a ouvert sa poésie à l'expression spontanée des sentiments et des goûts individuels. La poésie politique, d'inspiration patriotique, et la poésie satirique gardent une place importante dans son œuvre, à côté des poèmes d'amour, des graves méditations sur la vie et des improvisations familières, inspirées par le cadre quotidien de son existence. Cependant, autant que par des confessions lyriques, la sensibilité poétique de Pouchkine s'exprime par l'adhésion de son imagination aux formes, aux images et aux thèmes que lui suggère une culture qu'il ne cesse d'élargir. L'Orient arabe ou persan, l'Antiquité grecque ou latine, l'œuvre de Chénier ou celle de Mickiewicz lui fournissent la matière de certains de ses chefs-d'œuvre.

La poésie narrative reste pourtant son domaine de prédilection. Tantôt, comme dans Le Comte Nouline (Graf Nulin, 1825) ou La Maisonnette de Kolomna (Domik v Kolomne, 1830), il applique sa verve de conteur à des anecdotes contemporaines, qui lui permettent d'esquisser des tableaux savoureux de la vie russe : son aptitude à transmuer en valeurs poétiques le concret et le quotidien apparaît ici au grand jour. Tantôt il versifie avec bonheur les contes populaires russes (Le Tsar Saltane, Skazka o Care-Saltane ; Le Pope et son ouvrier Balda, Skazka o pope i rabotnike ego Balde, 1831 ; Le Pêcheur et le petit poisson, Skazka o rybake i rybke ; La Tsarine et les sept preux, Skazka o mertvoj carevne i o semi bogatyrjakh, 1833 ; Le Coq d'or, Skazka o zolotom petuške, 1834) que sa vieille nourrice paysanne lui a appris à aimer, en restant fidèle à la simplicité et à la fraîcheur naïve de leur langage. Tantôt, comme dans Poltava (1828) et Le Cavalier de bronze (Mednyj vsadnik, 1833), il renouvelle le genre classique de l'épopée par les procédés narratifs du poème romantique et par un sentiment tout moderne de la vérité historique.

C'est ce même souci de vérité historique qui, dès 1824-1825, lui a fait adopter la forme des chroniques historiques de Shakespeare pour sa «  tragédie romantique » Boris Godounov. L'abandon des unités classiques ; la substitution d'une succession chronologique de tableaux à l'organisation dramatique des actes et des scènes, et du pentamètre blanc, alternant avec des scènes en prose, au monotone hexamètre ïambique rimé de la tragédie classique ; tout cela, joint à un sentiment très sûr de la couleur historique, fait de cette pièce un ample et véridique tableau des forces politiques, sociales et morales de la Russie d'avant Pierre le Grand. Les quatre études dramatiques, ou « petites tragédies », que Pouchkine écrit en 1830 : Le Chevalier avare (Skupoj rycar') ; Mozart et Salieri ; Le Convive de pierre (Kamennyj gost') ; Le Festin pendant la peste (Pir vo vremja čumy), se rattachent aussi par leur forme, imitée du poète anglais Barry Cornwall, à l'esthétique libérée du théâtre romantique. Mais ici, une touche discrète de couleur historique et locale ne sert qu'à donner un cadre réaliste aux thèmes éternels de la puissance, de l'art, de l'amour et de la mort.

Le langage spontané de Pouchkine est celui du vers russe classique, que ses prédécesseurs immédiats, Joukovski et Batiouchkov, ont porté au sommet de ses possibilités expressives et musicales, et auquel il a su donner le cachet personnel d'un style élégant et précis. Mais c'est dans le domaine de la prose qu'il a fait faire à la littérature russe ses plus grands progrès : avec Les Récits de Bielkine (Povesti Belkina, 1830) et La[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-Sorbonne et à l'École normale supérieure

Classification

Pour citer cet article

Michel AUCOUTURIER. POUCHKINE ALEXANDRE SERGUEÏEVITCH (1799-1837) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<em>Alexandre Pouchkine</em>, V. Tropinine - crédits : Art Images/ Getty Images

Alexandre Pouchkine, V. Tropinine

Autres références

  • BORIS GODOUNOV (M. P. Moussorgski)

    • Écrit par Christian MERLIN
    • 224 mots
    • 1 média

    Créé au théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg le 27 janvier (ancien style) / 8 février (nouveau style) 1874, Boris Godounov – opéra en un prologue et quatre actes sur un livret du compositeur d'après le drame historique d'Alexandre Pouchkine – confère ses lettres de noblesse à la représentation...

  • DRAME - Drame romantique

    • Écrit par Anne UBERSFELD
    • 4 598 mots
    • 5 médias
    Le cas de Pouchkine est caractéristique de ces écrivains qui tentent de créer un drame national. Son Boris Godounov (1826) est une « histoire dramatique », une « chronique de nombreuses turbulences », un grand tableau historique dramaturgiquement peu construit. Là encore il faudra que l'opéra et Moussorgski...
  • EUGÈNE ONÉGUINE, Alexandre Pouchkine - Fiche de lecture

    • Écrit par Georges NIVAT
    • 1 267 mots

    Eugène Onéguine est un « roman en vers » qui comporte huit chapitres, plus le brouillon d'un chapitre x et celui d'un « Voyage d'Onéguine dans le Sud ». Pouchkine (1799-1837) avait vingt-quatre ans lorsqu'il entreprit de rivaliser – en russe et sur un sujet russe – avec les épopées humoristiques...

  • GLINKA MIKHAÏL IVANOVITCH (1804-1857)

    • Écrit par Piotr KAMINSKI
    • 1 942 mots
    L'immense succès de ce premier opéra suscite immédiatement la demande d'un autre, dont la source va cette fois être un poème de Pouchkine, Rousslan et Loudmilla. Malheureusement, Pouchkine périt en février 1837 dans son absurde duel, et le livret est finalement écrit par une sorte de comité, composé...
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Voir aussi