Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

POPE ALEXANDER (1688-1744)

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par

Plus moraliste que poète

Certains regrettent que Pope ait gaspillé son talent à traduire Homère. Il voulait surtout gagner de l'argent et par là l'indépendance. Ses traductions lui ont rapporté entre 8 000 et 10 000 livres. Si de nombreux poètes l'ont aidé dans cette tâche, Pope y attachait une importance considérable, révisait tout et donnait à l'ensemble sa marque propre. La traduction d'Homère a une importance capitale : devenue un modèle de style, elle est, en grande partie, à l'origine de la « diction poétique ». Au nom de la valeur de l'imitation, les poètes de la seconde moitié du xviiie siècle ont aligné leur style sur celui de Pope, copiant ses noms composés, ses abstractions, ses généralisations, ses figures de rhétorique. Si l'imitation stylistique n'est pas sous-tendue par une inspiration originale, on aboutit à une creuse artificialité ; c'est elle que Wordsworth allait dénoncer, rendant la diction poétique responsable d'un certain déclin de la poésie anglaise après la mort de Pope.

Celui-ci n'a pas, comme Boileau, écrit un Art poétique, mais l'Essai sur la critique éclaire indirectement les positions esthétiques de son auteur. Il place l'étude morale, seul but selon lui de l'activité poétique, sous le contrôle de la raison. La nature doit être disciplinée par la raison. L'expression de l'idée doit être parfaite. C'est l'idéal de la « correction ». Aux qualités intellectuelles doivent s'ajouter des qualités humaines : le poète idéal allie la bonté au savoir. C'est alors que l'expression poétique sera la plus heureuse. Sur ce point, la pensée de Pope est ambiguë. Avec l'esprit (le wit) apparaît en effet l'imagination qui permet les rapprochements d'idées nouveaux et heureux, qui combine les mots, qui suscite les images frappantes. Si Pope se méfie souvent de l'imagination, il ne la chasse pas mais la contrôle.

C'est dans les satires que l'imagination joue chez Pope ce rôle fécondant. Certes Épîtres et Satires sont écrites sur des modèles anciens. Mais on y voit bien que les sujets et les formes se transmutent grâce à l'alchimie du poète et deviennent parfaitement modernes et totalement originaux. Le portrait d'Addison dans l'épître qui sert de prologue aux Satires (v. 193-214) est justement célèbre à cet égard. Il témoigne d'une harmonie parfaite entre le raffinement de la forme et la subtilité de la pensée, entre l'élégance apparemment spontanée des vers et l'acuité calculée de la verve satirique.

Dans La Dunciade, Pope donne libre cours à son indignation contre la médiocrité, qu'il appelle la sottise. Cette longue satire est la contribution de Pope à un ensemble d'œuvres écrites par les membres du Scribblerus Club. Il faut la lire avec L'Opéra du mendiant de Gay et avec le Gulliver de Swift. Par-delà les attaques contre ses ennemis, les hommes de lettre médiocres, on trouve une protestation véhémente comme celle de Swift, mais généreuse comme celle de Gay, contre tout ce qui porte atteinte à l'idée élevée qu'il avait de l'homme, de la société et de l'art : esprit partisan, sous-littérature, autant de formes de la sottise, mère du mauvais goût, de l'absurdité et de l'immoralité. Il rejoint Erasme dont la stultitia de l'Éloge de la folie est sœur de la dulness. Toutefois, on peut penser qu'il s'est laissé emporter par le genre pseudo-épique et par l'atmosphère du Scribblerus Club et on sent que son indignation va parfois trop loin. Si l'on y regarde de plus près, Pope n'apparaît pas réellement comme un misanthrope ; il s'inscrit plutôt dans la lignée des grands moralistes anglais du xviiie siècle qui, avec Fielding et Johnson, ont dénoncé plus[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Jean DULCK. POPE ALEXANDER (1688-1744) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Média

Alexander Pope - crédits : Universal History Archive/ Universal Images Group/ Getty Images

Alexander Pope

Autres références

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par , , , , , et
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    La primauté de la raison sur la fantaisie dans cette époque trouve une illustration typique dans l'œuvre de son plus grand poète, Alexander Pope (1688-1744). Les romantiques verront en lui l'antithèse du vrai poète. William Wordsworth tout en lui reconnaissant des qualités éminentes, ajoutait que...
  • FINANCEMENT PARTICIPATIF ou CROWDFUNDING

    • Écrit par
    • 3 595 mots
    • 1 média
    L’une des premières opérations de financement participatif connues remonte à 1713, lorsque le poète anglais Alexander Pope lance une souscription publique pour traduire LIliade en anglais. Quelques décennies plus tard, Wolfgang Amadeus Mozart s’approprie le procédé et, dans le but de venir...
  • JARDINS - De l'Antiquité aux Lumières

    • Écrit par et
    • 8 145 mots
    • 12 médias
    ...en forme de cônes, de globes et de pyramides. On voit la marque des ciseaux sur toutes nos plantes et nos buissons. » Excès manifestes, dont Alexandre Pope témoigne à sa manière (The Guardian, 1713), bien entendu ironique, en dressant l'inventaire de « soldes » imaginaires à l'étal d'un pépiniériste...
  • SATIRE

    • Écrit par
    • 2 692 mots
    • 1 média
    Entre le xvie siècle et les suivants se marque une sensible différence de verve. L'« augustéen » Pope et son prédécesseur élisabéthain John Donne (1573-1631) permettent de la mesurer. Reprenant mot pour mot des passages de son devancier, le spirituel Anglais (Epilogue to the Satires, 1738)...