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AFFECTIVITÉ

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Prolégomènes pour une phénoménologie de l'affectivité

Dans la mesure où elle doit méthodologiquement se tenir dans une situation de mise hors circuit (épochè) de toute téléologie d'ordre éthique, une phénoménologie de l'affectivité ne sera conséquente que si elle traite de front la problématique dans sa teneur classique et les pathologies que l'on a mises jusqu'ici sur le compte du « mental ». Deux voies semblent s'ébaucher pour un tel traitement : le premier consiste à reposer, dans la ligne de Husserl et de Merleau-Ponty, le problème de la Befindlichkeit heideggérienne comme Befindlichkeit incarnée, et la seconde consiste corrélativement à prolonger dans le champ de la phénoménologie la voie toute nouvelle qui a été proposée par Henri Maldiney, pour la compréhension des psychoses, avec son concept de « transpassibilité ».

Selon la première perspective, l'incarnation de l'affectivité – qui fait écho, à sa manière, en son énigme, à ce que Descartes pensait comme l'énigme de l'union substantielle et cependant contingente (factice) de l'âme et du corps – signifie tout à la fois, d'une part que le corps-de-chair (Leib), distinct du « corps objectif » (Körper), est un être-au-monde, pris dans sa chair à l'existentialité du Dasein (Merleau-Ponty), et qu'en ce sens il n'y a pas de Stimmung qui ne soit du même coup Stimmung incarnée ou Stimmung de chair, et d'autre part que, prise de la sorte à l'existentialité de l'être-au-monde, l'affectivité est aussi prise au champ « intersubjectif » ou « interfacticiel » du Mit-sein, c'est-à-dire, dans son « expression », au langage comme temporalisation-spatialisation de sens (M. Richir). Cela signifie donc, contrairement à l'« hyperbole métaphysique » de Michel Henry, que l'affectivité est généralement à distance de soi, originairement divisée entre ce qui lui paraît comme son intériorité (ou son immanence : M. Henry) et ce qui d'elle est toujours déjà exposé au dehors, en tant que porteur de sens. Ce n'est pas seulement, en effet, « mon » affectivité que je saisis immédiatement, mais aussi celle des autres, et la réciproque est tout aussi vraie. Sans que cela veuille dire que l'affectivité ait une portée « cognitive » – encore que, comme l'a remarqué Heidegger, la theôria soit portée par la Stimmung du calme ou de la paix « contemplative » –, cela veut dire néanmoins que le mode de temporalisation de l'affectivité – indissociable de son mode spatialisation tout aussi originaire dans le Leib que j'aperçois comme le mien ou celui des autres – n'est pas à comprendre exclusivement « au passé » originaire, mais aussi dans la présence d'un sens se faisant – et ne se faisant pas nécessairement dans une énonciation linguistique. Or cette perspective communique avec la seconde, celle de Henri Maldiney, si l'on remarque que l'irruption de l'affectivité dans une situation a toujours, en tant que telle, la signification d'un événement, c'est-à-dire de l'inattendu, et que la distance de l'affectivité par rapport à elle-même, requise par son incarnation, signifie non pas que l'affectivité puisse s'autoaffecter circulairement elle-même dans ce qui serait son immanence métaphysique, mais s'accueillir elle-même dans son étrangeté, par-delà ce qui la rend possible à ce qu'elle semble avoir toujours été dans son passé ontologique. Cet accueil de soi au-delà de soi : telle est la transpassibilité. La dimension « intersubjective » apparaît alors comme dimension « interfacticielle », celle de la rencontre de facticité de Dasein à facticité de Dasein, où la Befindlichkeit comme incarnée n'est pas seulement lieu ontologique-existential du passé,[...]

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Écrit par

  • : docteur en philosophie, chargé de cours titulaire à l'université libre de Bruxelles, chercheur qualifié au F.N.R.S. (Belgique), directeur de programme au collège international de philosophie (Paris)

Classification

Pour citer cet article

Marc RICHIR. AFFECTIVITÉ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

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