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THÉÂTRES DU MONDE Le théâtre en Afrique noire

Conditions d'une évolution

En vérité, toutes ses facultés et ses tendances semblent prédisposer l'Afrique au théâtre. Le metteur en scène G. W. Pabst avait coutume de dire qu'il n'existait dans le monde que trois sortes de comédiens instinctifs : les Noirs, les Chinois et les enfants. Le Noir possède un sens miraculeux du rythme, une rare justesse de l'oreille, un entraînement traditionnel aux joutes orales les plus subtiles, alimenté par de véritables mines de dictons et de proverbes. Le griot qui monologue, incarnant à lui seul tous les rôles de son histoire, tantôt parlant, tantôt chantant (mais parfois les cordes parlantes de sa guitare lui donnent la réplique), fournit l'exemple magistral de ce que l'on nomme, à l'américaine, un one man show. Que dire des qualités athlétiques déployées dans la danse et l'acrobatie par le garçon de village ayant reçu l'éducation traditionnelle ? Quant aux dons du mime, l'Africain les reçoit à sa naissance.

Le chasseur nomade de la région nigéro-tchadienne qui, pour approcher un troupeau d'antilopes, se déguise en ce gros corbeau noir au bec énorme que l'on nomme calao, a fixé sur son front, au sommet d'un long cou de bois, la tête desséchée d'un de ces oiseaux. Rampant sur les genoux et les mains, dans son rôle d'oiseau picoreur, il donne à ses futures victimes un éblouissant numéro de mime. Nous ne sommes pas sûrs qu'en Afrique un jeu d'un tel raffinement ne comporte pas un arrière-plan magique. Toujours est-il que son public d'antilopes s'y trompe et, convaincu qu'il s'agit d'un véritable calao cueillant sur le sol des graines et des insectes, abandonne toute vigilance jusqu'à l'instant de la flèche empoisonnée.

Tant de dispositions favorables n'ont pu manquer de donner lieu, dans le domaine profane, sinon à du grand théâtre, dont les cérémonies rituelles étaient sans doute plus proches, mais au moins à de courtes pièces dialoguées, mimées et dansées. Il en fut ainsi, paraît-il, au temps des empires soudanais, mais la tradition orale n'en a malencontreusement rien conservé. Plus récemment, les Bambara faisaient état de saynètes villageoises « à propos des mariages ». Il est difficile de dire dans quelle mesure elles n'étaient pas issues de la détérioration ou de la libération progressive de la tradition religieuse paysanne. Le phénomène est général et touche l'Afrique entière. Il y a longtemps que les masques des Dogon, non contents d'avoir intégré des personnages étrangers, Blancs compris, dont ils miment les occupations et les caractères, « sortaient » à l'occasion des visites du gouverneur. Ils font de même aujourd'hui, en l'honneur des personnalités officielles du Mali. Depuis bien des années aussi, le touriste étranger de passage dans les villages africains a pris l'habitude de commander des tams-tams. Dans leur contenu comme dans leur présentation, ceux-ci ont de plus en plus tendu vers le profane, le mime, la comédie. Les pêcheurs bozo du Niger ont pour spécialité les spectacles de marionnettes donnés dans une tente montée sur leurs pirogues. D'abord hommage rituel aux ancêtres défunts, puis allusions satiriques à la société contemporaine, comment y départager le sacré du profane, sinon en admettant le phénomène général d'une évolution ? Les griots, autrefois attachés aux grands, orientent aujourd'hui l'arsenal de leurs louanges vers le public payant.

Enfin, on ne saurait oublier l'ethnie africaine la plus merveilleusement douée pour le théâtre : les Pygmées. Ceux-ci n'ont pas attendu l'intrusion du monde blanc pour se produire dans les villages noirs ; l'agilité, l'esprit d'observation, l'humour dont ils débordent font des manifestations de ces petits hommes, que les Égyptiens[...]

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Écrit par

  • : journaliste, membre correspondant de l'Académie des sciences d'outre-mer

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