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MAO ZEDONG ou MAO TSÉ-TOUNG (1893-1976)

« Post mortem » : un héros national

Il est aussi impossible de chiffrer le bilan de la révolution culturelle que d'en résumer le chaos. Il faudrait substituer des statistiques à ses officielles et symboliques « cent millions de victimes » (directes et indirectes) et, justement, tenir compte des dégâts psychologiques, sociologiques et culturels, qui sont incalculables. Reste une certitude : cet effrayant désastre scelle un échec qui fut à la (dé)mesure du projet maoïste et de son succès initial. La réussite de Deng s'explique par le rejet que Mao a engendré. En 1976, la crise sociale est profonde, bien que le régime empêche toute opposition de se structurer : les intellectuels ne pourront s'exprimer que lorsque les antimaoïstes leur donneront la parole, le temps du bref hiver 1978-1979. C'est par morceaux, de façon inavouée, que le pays échappe à son maître. La dépolitisation de la Chine est l'œuvre de Mao, non celle de Deng, qui se contentera de capter le courant et de donner une forme politique au rejet du maoïsme, en retrouvant des rythmes plus conformes à la pente de l'histoire chinoise.

Mao en a rompu le cours, et pourtant il n'a pu s'en affranchir : son échec est aussi dans le volontarisme extrême d'un projet qui prétendait faire surgir une révolution aux antipodes de la modernité. Ce n'est pas à la classe ouvrière qu'il a substitué le parti, comme Lénine, mais à la ville et à la révolution. Sa différence au sein du communisme chinois, qu'il sut rallier à cet incroyable renversement du marxisme en le parant des couleurs de l'indépendance nationale, est qu'il voulait que le P.C.C. fût un parti activiste, et qu'il se réservait les rênes de cet activisme. Lui seul, à cette limite, était révolutionnaire, si l'on signifie par là le surgissement dans une société de forces autonomes conduisant à des ruptures politiques ; la révolution n'était plus que rituelle. Aussi n'est-ce pas la sortie en douceur du maoïsme qu'il faut expliquer, car il était devenu la révolution d'un seul, mais bien l'entrée et le broyage de tout un peuple dans cette machine infernale. Au-delà de la conjoncture fondatrice des années 1930-1940 et du fatal engrenage des années 1950, il faut tenir compte de l'accomplissement d'un vieux rêve politique de l'ancienne Chine : unir le peuple autour de ses dirigeants en palliant moralement les défauts du système institutionnel. Transposé dans le registre des préoccupations du xxe siècle, ce rêve du « peuple nouveau » rencontrait l'utopie communiste : une émancipation totale de l'homme au moyen d'une politisation-libération intégrale de la société. Mais l'imparfaite modernisation du début du siècle n'a permis que de placer le P.C.C., et Mao au-dessus du P.C.C., dans une position d'autorité morale dont il n'a jamais admis qu'elle fût remise en cause : son activisme était organisé du point de vue de cette supériorité. Destructeur des germes de la modernité chinoise, il fit reculer l'histoire en même temps qu'il la violentait.

Le nationalisme lui prêta main forte ? Assurément. Y ramener Mao, comme le font de nos jours les Chinois, le rend pourtant incompréhensible. Mais que vaut cette remarque à froid pour tous ceux qui participèrent ou qui durent subir ? Malgré une abondance de publications spécialisées et un intérêt soutenu pour la vie (surtout privée) du grand homme, la société chinoise le transfigure en héros national, parce qu'elle ne peut régler le compte qu'elle a avec lui que sur le mode de l'oubli. En sera-t-il tenu quitte pour la gloire, comme Napoléon le fut chez nous ? L'évolution du pays en passera-t-elle par un travail de remémoration ? Contrairement à l'issue nationaliste, qui consolide l'autorité en place, cette voie supposerait que la société[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, directeur du Centre d'études sur la Chine moderne et contemporaine, E.H.E.S.S.-C.N.R.S.

Classification

Pour citer cet article

Yves CHEVRIER. MAO ZEDONG ou MAO TSÉ-TOUNG (1893-1976) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Naissance de la République populaire de Chine, 1949 - crédits : The Image Bank

Naissance de la République populaire de Chine, 1949

Mao Zedong à Yan'an, 1938 - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Mao Zedong à Yan'an, 1938

Révolution culturelle en Chine, 1966 - crédits : Pathé

Révolution culturelle en Chine, 1966

Autres références

  • AI QING [NGAI TS'ING] (1910-1996)

    • Écrit par Catherine VIGNAL
    • 2 092 mots
    ...par Zhou Enlai, parvient à traverser, sous un déguisement militaire, quarante-sept postes de contrôle du Guomindang pour atteindre la base de Yan'an. L'ascendant que Mao exerça sur lui fut irrésistible. Les poèmes qui le célèbrent nous le montrent bien. Quand Ai Qing voulut partir pour le front, Mao...
  • ARMÉE - Doctrines et tactiques

    • Écrit par Jean DELMAS
    • 8 017 mots
    • 3 médias
    Mais l'arme nucléaire ne serait-elle qu'un « tigre de papier » ? Oui, affirmait Mao Zedong, face à la guerre du peuple. Bien avant Hiroshima, l'homme de la Longue Marche et de Yan'an avait défini les principes de la guerre révolutionnaire en Chine, en en soulignant la spécificité, fonction de quatre...
  • ARMÉE ROUGE, Chine

    • Écrit par Michel HOANG
    • 1 016 mots
    • 4 médias

    « Le pouvoir est au bout du fusil » : quand Mao Zedong énonce, en novembre 1938, cette formule désormais célèbre, il parle en orfèvre. Il fait la guerre à Tchiang Kaï-chek depuis plus de dix ans. Il lui faudra encore combattre plus d'une décennie pour prendre le pouvoir en 1949. En guerre...

  • CENT FLEURS LES

    • Écrit par Michel HOANG
    • 944 mots

    C'est en mai 1956 que le président Mao Zedong énonce sa formule désormais célèbre : « Que cent fleurs s'épanouissent, que cent écoles rivalisent. » Ce slogan d'expression très classique fait référence aux « cent écoles », dénomination donnée par le philosophe taoïste Zhuangzi aux multiples...

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Voir aussi