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MAO ZEDONG ou MAO TSÉ-TOUNG (1893-1976)

La rupture avec l'horizon urbain (1928-1935)

Son univers politique s'est effondré : loin de se modeler sur les cadres politiques existants, l'activisme de masse doit forger les siens. L'inébranlable fidélité de Mao au P.C.C. passe désormais par cette condition : il devient un « hérétique en acte » (B. Schwartz), pour lequel la révolution doit changer de cadrage. L'horizon national est bouché par le G.M.D. ; limité par l'enclavement des dynamiques sociales, le P.C.C. s'épuise à se rétablir à ce niveau. Il faut adapter le cadre à la situation : stratégiquement, en changeant le lieu et l'échelle, en installant l'activisme dans les villages ; politiquement aussi, car l'action rurale requiert des modes d'intervention qui imposeront de réinventer les fonctionnements du parti. Mais le constat que fait Mao en 1927-1928 et qui réoriente son histoire est dépourvu de réponses toutes faites. Si le génie pratique avec lequel il va concrétiser cette perspective nouvelle est la grande force de son action, il devra chercher sa voie avant de l'inscrire dans un cadre politique convaincant et de refonder le parti sur ces bases. Avant la Longue Marche, il perdra la partie sur le terrain politique où, après 1927, il cherche à jouer son propre jeu. Ses vues sur la « pratique » révolutionnaire et sa pratique de la guérilla paraîtront déconnecter le couple État-révolution qui arrime la tradition léniniste à la modernité des villes. Le maoïsme ne naîtra vraiment et ne pourra s'appuyer sur une coalition significative que lorsque Mao aura surmonté cette faiblesse et proposé une synthèse satisfaisante entre la construction de la révolution et celle de l'État, au lendemain de la Longue Marche.

Ce handicap apparaît au Jiangxi, où les guérillas les plus nombreuses opèrent entre 1928 et 1934. De 1928 à 1931, au gré d'alliances avec des brigands mal vues de Shanghai (siège de la direction clandestine du P.C.C.), renforcé par Zhu De (futur chef de l'Armée rouge) et Peng Dehuai (futur censeur du Grand Bond), Mao et sa petite troupe de Hunanais aguerris parviennent à contrôler la plus importante des bases rouges. Contre ses supérieurs, il dénonce l'obsession de la ville et d'une révolution immédiate, qui ne manquerait pas de concentrer les foudres du pouvoir. Mieux vaut se loger, sans s'y fixer, dans ses zones de faiblesse, s'y renforcer et l'affaiblir par petites touches, avant que la situation globale ne permette d'œuvrer frontalement à son effondrement. Mais les succès de la guérilla travaillent contre lui. Réfugiés au Jiangxi en 1932, les dirigeants shanghaïens (derrière Zhou Enlai, son futur Premier ministre) et les internationalistes (pilotés de Moscou par Wang Ming), se trouvant à la tête de territoires assez considérables, imposent une logique étatique impliquant la fin du nomadisme et le recrutement local d'une armée plus nombreuse, moins mobile, et moins fidèle à Mao, qui est écarté, tandis qu'une campagne le discrédite auprès des cadres. Contrairement à la vulgate maoïste, qui a condamné une « déviation » par rapport à la seule « ligne juste » possible pour la révolution rurale, en 1933-1934 prévaut moins une stratégie de retour aux villes qu'une version différente de la révolution en milieu paysan, dont les partisans sont plus soucieux que Mao de développer des perspectives pour l'État révolutionnaire. Sans la riposte de Tchang Kaï-chek, qui, en effet, concentra la foudre et contraignit les rouges à fuir en redonnant du même coup toute sa pertinence à la guérilla mobile (octobre 1934), Mao n'eût été qu'une « grenouille au fond du puits » critiquée pour son « romantisme de rebelle petit-bourgeois ». Comme 1940 pour de Gaulle, la catastrophe du Jiangxi ancrera la légitimité de Mao... après sa victoire.[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, directeur du Centre d'études sur la Chine moderne et contemporaine, E.H.E.S.S.-C.N.R.S.

Classification

Pour citer cet article

Yves CHEVRIER. MAO ZEDONG ou MAO TSÉ-TOUNG (1893-1976) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Naissance de la République populaire de Chine, 1949 - crédits : The Image Bank

Naissance de la République populaire de Chine, 1949

Mao Zedong à Yan'an, 1938 - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Mao Zedong à Yan'an, 1938

Révolution culturelle en Chine, 1966 - crédits : Pathé

Révolution culturelle en Chine, 1966

Autres références

  • AI QING [NGAI TS'ING] (1910-1996)

    • Écrit par Catherine VIGNAL
    • 2 092 mots
    ...par Zhou Enlai, parvient à traverser, sous un déguisement militaire, quarante-sept postes de contrôle du Guomindang pour atteindre la base de Yan'an. L'ascendant que Mao exerça sur lui fut irrésistible. Les poèmes qui le célèbrent nous le montrent bien. Quand Ai Qing voulut partir pour le front, Mao...
  • ARMÉE - Doctrines et tactiques

    • Écrit par Jean DELMAS
    • 8 017 mots
    • 3 médias
    Mais l'arme nucléaire ne serait-elle qu'un « tigre de papier » ? Oui, affirmait Mao Zedong, face à la guerre du peuple. Bien avant Hiroshima, l'homme de la Longue Marche et de Yan'an avait défini les principes de la guerre révolutionnaire en Chine, en en soulignant la spécificité, fonction de quatre...
  • ARMÉE ROUGE, Chine

    • Écrit par Michel HOANG
    • 1 016 mots
    • 4 médias

    « Le pouvoir est au bout du fusil » : quand Mao Zedong énonce, en novembre 1938, cette formule désormais célèbre, il parle en orfèvre. Il fait la guerre à Tchiang Kaï-chek depuis plus de dix ans. Il lui faudra encore combattre plus d'une décennie pour prendre le pouvoir en 1949. En guerre...

  • CENT FLEURS LES

    • Écrit par Michel HOANG
    • 944 mots

    C'est en mai 1956 que le président Mao Zedong énonce sa formule désormais célèbre : « Que cent fleurs s'épanouissent, que cent écoles rivalisent. » Ce slogan d'expression très classique fait référence aux « cent écoles », dénomination donnée par le philosophe taoïste Zhuangzi aux multiples...

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Voir aussi