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MAO ZEDONG ou MAO TSÉ-TOUNG (1893-1976)

Le bond vers le Grand Bond en avant (1946-1958)

À l'autre extrémité se constituent les macrostructures du parti-État qui finit par chasser Tchang Kaï-chek du continent en 1949, puis par avaler la Chine des villes et du Sud. L'union nationale, rebaptisée « nouvelle démocratie », y facilite aussi l'implantation du nouveau régime, mais ce qui préside à leur soumission est bien l'instrument de pouvoir qui vient d'être forgé à Yan'an. À l'inverse du parcours des communistes russes, qui ont mis de longues années à investir les villes et les campagnes, cet instrument confère à la trajectoire du maoïsme une impulsion décisive, sans laquelle le point limite du Grand Bond n'aurait pu être atteint. Mao y a vu le glaive dont il rêvait de s'emparer pour partager le monde au moment de la Longue Marche, le moment de passer de l'autre côté de l'histoire : celui où, ayant rassemblé dans l'action la collectivité autour de lui, l'homme volontaire ne la subit plus.

Jusqu'en 1954, cependant, le volontarisme s'exerce plutôt à l'extérieur, avec l'intervention en Corée, tandis que le P.C.C. consolide sa conquête en s'appuyant sur l'U.R.S.S. comme alliée et comme modèle d'une prudente transition au socialisme axée sur les villes. Tout en protégeant sa « cour » contre une tentative de déstabilisation (Deng Xiaoping est alors élevé au sommet de la hiérarchie), Mao n'en marque pas moins de l'impatience. Dès 1955, il se démarque de cette prudence en accélérant la collectivisation. En 1956, il défend Staline contre Khrouchtchev, tandis que des barons du P.C.C. critiquent le culte de la personnalité. Il prétend alors atteler les intellectuels à une rectification du parti : les Cent Fleurs (1957) dérapent dans la contestation du régime. Il en profite pour lancer le parti contre les « droitiers » et radicaliser ses vues : non pas renoncer au schéma stalinien, aux villes, aux techniques, à l'industrie lourde, mais « marcher sur deux jambes », compter en tous domaines (pas seulement dans les campagnes) « sur ses propres forces », pour les grands travaux comme pour la conviction qui doit remplacer les compétences. Dans une révolution « ininterrompue », « le politique dirige tout ».

Cette foi utopique provoque le Grand Bond. Au chaos (1958), à la famine (vingt ou trente millions de morts entre 1959 et 1961), survivent les ingrédients de la voie chinoise – communes populaires, ateliers ruraux, rupture avec l'U.R.S.S. et « jambe » nucléaire. L'empereur Mao se pose en rebelle activiste œuvrant pour le perfectionnement de l'Empire contre les pesanteurs chinoises et contre l'U.R.S.S. La dégénérescence inévitable des pouvoirs institutionnalisés n'est pas une chose qu'il a dû découvrir après 1949. Les techniques du pouvoir qu'il a élaborées ont précisément fait jouer une opposition entre institutions et mobilisation des masses. Toutefois, puisque les mobilisés sont des dominés, à quoi bon s'ingénier à les répartir entre des classes et à proclamer des luttes entre celles-ci, puisqu'elles ne sont pas autonomes face au pouvoir ? Le socialisme abrite-t-il des contradictions ?

Il n'arrête pas l'histoire, selon Mao, qui n'est que contradictions (« un se divise en deux »), mais les contradictions du socialisme agissent « au sein du peuple ». Ces dynamiques étant connues et l'État-parti n'étant autre que leur résultante, il ne peut y avoir de contradictions « antagonistes » à ce niveau : ce n'est pas là qu'est l'espace politique du maoïsme (mais Mao conclura, dans la perspective de la révolution culturelle, à la renaissance de la bourgeoisie et de la guerre de classe au sein même du parti). Cet espace se déploie là où les réalités sociopolitiques de la nouvelle Chine produisent des frictions, l'originalité par[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, directeur du Centre d'études sur la Chine moderne et contemporaine, E.H.E.S.S.-C.N.R.S.

Classification

Pour citer cet article

Yves CHEVRIER. MAO ZEDONG ou MAO TSÉ-TOUNG (1893-1976) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Naissance de la République populaire de Chine, 1949 - crédits : The Image Bank

Naissance de la République populaire de Chine, 1949

Mao Zedong à Yan'an, 1938 - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Mao Zedong à Yan'an, 1938

Révolution culturelle en Chine, 1966 - crédits : Pathé

Révolution culturelle en Chine, 1966

Autres références

  • AI QING [NGAI TS'ING] (1910-1996)

    • Écrit par Catherine VIGNAL
    • 2 092 mots
    ...par Zhou Enlai, parvient à traverser, sous un déguisement militaire, quarante-sept postes de contrôle du Guomindang pour atteindre la base de Yan'an. L'ascendant que Mao exerça sur lui fut irrésistible. Les poèmes qui le célèbrent nous le montrent bien. Quand Ai Qing voulut partir pour le front, Mao...
  • ARMÉE - Doctrines et tactiques

    • Écrit par Jean DELMAS
    • 8 017 mots
    • 3 médias
    Mais l'arme nucléaire ne serait-elle qu'un « tigre de papier » ? Oui, affirmait Mao Zedong, face à la guerre du peuple. Bien avant Hiroshima, l'homme de la Longue Marche et de Yan'an avait défini les principes de la guerre révolutionnaire en Chine, en en soulignant la spécificité, fonction de quatre...
  • ARMÉE ROUGE, Chine

    • Écrit par Michel HOANG
    • 1 016 mots
    • 4 médias

    « Le pouvoir est au bout du fusil » : quand Mao Zedong énonce, en novembre 1938, cette formule désormais célèbre, il parle en orfèvre. Il fait la guerre à Tchiang Kaï-chek depuis plus de dix ans. Il lui faudra encore combattre plus d'une décennie pour prendre le pouvoir en 1949. En guerre...

  • CENT FLEURS LES

    • Écrit par Michel HOANG
    • 944 mots

    C'est en mai 1956 que le président Mao Zedong énonce sa formule désormais célèbre : « Que cent fleurs s'épanouissent, que cent écoles rivalisent. » Ce slogan d'expression très classique fait référence aux « cent écoles », dénomination donnée par le philosophe taoïste Zhuangzi aux multiples...

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Voir aussi