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LINGUISTIQUE ET PSYCHANALYSE

La question des rapports entre la psychanalyse et la linguistique est compliquée par deux facteurs. D'une part, ces rapports ont évolué ; ils ont en effet été si profondément transformés par l'œuvre de Jacques Lacan qu'on peut parler à cet égard de coupure. D'autre part, ces rapports ne sauraient se ramener à un type unique. En fait, il convient de distinguer quatre questions : la question de la psychanalyse et de son rapport à un phénomène qu'on appelle le langage ; la question de la psychanalyse et de son rapport à une science qui prend pour objet tout ou partie du phénomène langage et qu'on convient d'appeler la linguistique ; la question de la science linguistique et de son rapport aux données mises au jour par la psychanalyse – en résumé : la question des rapports entre la linguistique et l'inconscient ; la question de la science linguistique et de son rapport à la théorie de la psychanalyse.

La psychanalyse et le langage

Le langage, comme phénomène, peut être envisagé de deux points de vue : ou bien on le considère seulement comme l'ensemble des langues naturelles, en sorte que ce sont ces dernières avec leurs particularités substantielles ou formelles qui importent, ou bien on le considère comme un objet unitaire, avec ses propriétés générales (substantielles ou formelles).

La psychanalyse et les langues particulières

La psychanalyse et la substance des langues

Cette question concerne la manière dont l'objet et le domaine de la psychanalyse peuvent être affectés par l'existence de telle ou telle donnée de langue ; ainsi, on demandera dans quelle mesure la psychanalyse a à tenir compte dans sa pratique et dans sa théorie de données telles que la diversité des langues, les phénomènes de traduction, la morphologie, le lexique, la syntaxe d'une langue particulière. La littérature psychanalytique abonde d'exemples où de telles données se sont révélées pertinentes, tant chez les freudiens de la première génération (on peut notamment citer Karl Abraham et Theodor Reik) que dans les travaux plus récents, marqués par l'enseignement de Jacques Lacan. On sait généralement que la psychanalyse s'appuie de manière décisive sur ce qui se dit dans la séance ; or ce dire s'effectue en langue et se trouve nécessairement structuré par les diverses règles de chaque langue particulière. On en déduit naturellement que telle ou telle donnée substantielle tirée des langues telles qu'elles sont est une donnée dont la psychanalyse, dans sa pratique ou dans sa théorie, peut et doit tenir compte.

On peut plus particulièrement noter ceci : en tant qu'elles ont une substance, les langues peuvent donner lieu, sur tel ou tel point, à des investissements imaginaires. Au maximum, cela constitue le fondement de ce qu'on appelle communément le style et qui, pour l'ordinaire, relève plus du moi que du sujet. Au minimum, on peut mentionner le vaste ensemble des « superstitions » linguistiques : en français, par exemple, le genre grammatical des noms n'est pas sans affecter la représentation imaginaire qu'un sujet peut se former de la différence des sexes. De même, le fait qu'on dénomme « passif » les structures du type « un enfant est battu » peut éventuellement affecter la verbalisation de tel ou tel symptôme, etc. De ce point de vue, on peut songer à la manière dont les propriétés matérielles des objets du monde (par exemple, l'anatomie et la physiologie du corps humain) se prêtent à investissement. La linguistique joue alors le rôle d'une science qui établit les propriétés matérielles d'un objet particulier – au même titre que les sciences anatomique ou physiologique le font pour le corps. Elle est donc prise comme une discipline capable de fournir des informations dignes de confiance sur son objet. On peut parler dans ce cas d'un rapport[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-VII (département de recherches linguistiques)

Classification

Pour citer cet article

Jean-Claude MILNER. LINGUISTIQUE ET PSYCHANALYSE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CONSCIENCE PRISE DE

    • Écrit par Henry DUMÉRY
    • 1 600 mots

    Le paradoxe aurait dû s'imposer depuis Freud : la prise de conscience ne rend pas conscient ce qui ne l'est pas ; elle n'admet (et ne garde) à la conscience claire que ce qui la sert sans la gêner, sans l'humilier, sans la troubler. Si quelque chose l'ennuie, elle le chasse ou s'y efforce....

  • FÓNAGY IVÁN (1920-2005)

    • Écrit par Ferenc KIEFER
    • 550 mots

    Linguiste de renommée internationale, Iván Fónagy est né à Budapest en 1920. Il acquiert une formation de niveau européen à l'université Pázmány Péter – notamment avec Gyula Laziczius, représentant notable du cercle de Prague –, à Kolozsvár et à Paris. Il termine en 1949 ses études en littérature et...

  • IMAGINAIRE ET IMAGINATION

    • Écrit par Pierre KAUFMANN
    • 12 565 mots
    • 1 média
    ...détermination de la frustration – dam imaginaire d'un objet réel – et de la castration-opération symbolique sur un objet imaginaire. De ce premier repérage linguistique, Lacan cependant s'affranchira du moment où la construction de l'aliénation permettra de faire dériver le fantasme, sur le fondement du cogito,...
  • INCONSCIENT

    • Écrit par Christian DEROUESNE, Hélène OPPENHEIM-GLUCKMAN, François ROUSTANG
    • 8 283 mots
    • 2 médias
    Jacques Lacan a montré que ces mécanismes de l'inconscient trouvaient leur pleine signification si on leur donnait le nom qu'ils portent en stylistique : la métaphore et la métonymie. Si la condensation est possible, c'est qu'un mot d'une langue ne renvoie pas seulement à un ou plusieurs sens, mais...
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Voir aussi