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LINGUISTIC TURN, histoire

L'histoire comme activité purement rhétorique ?

Le linguistic turn sépare radicalement texte et réalité et considère le langage comme un système fermé et autosuffisant de signes dont le sens est gouverné par leurs relations réciproques, impersonnelles et échappant au contrôle des acteurs sociaux, réduisant ainsi le monde social aux seuls principes qui commandent les discours.

Dans ce remue-ménage tonitruant, les travaux de l'historien américain Hayden White (notamment Metahistory, 1973) sur le discours historique ont été centraux. Sensible aux critiques visant la scientificité de l'écriture de l'histoire, cet auteur s'est tôt préoccupé de retrouver les éléments « métahistoriques » qui gouvernent l'arbitraire des choix de l'écriture historienne. L'histoire est le résultat provisoire et révisable des possibles combinaisons entre des modes d'écriture (romanesque, tragique, comique, satirique), des modèles (mécaniste, organiciste, contextualiste) et des choix idéologiques (libéral, conservateur, radical, anarchiste), qui définissent des « styles historiographiques », dont aucun ne peut prétendre seul à la vérité. Le rapport au réel importe donc moins que la capacité formelle de chaque discours concurrent à emporter la conviction. L'histoire, de ce point de vue, n'apporte pas une connaissance plus vraie du réel que ne le fait la littérature.

Cette posture relativiste, qui assimile la connaissance historique à la fiction, qui réduit la référence au réel et oblitère les exigences intellectuelles et matérielles de l'opération historiographique, n'est pas sans danger, notamment lorsqu'elle est confrontée au discours négationniste. Reconnaissant toutefois qu'il est possible de distinguer des narrations concurrentes en fonction de leur « fidélité aux données factuelles, leur complétude et la cohérence de leur argumentation », Hayden White a répondu au discours négationniste. Sans convaincre, il s'est retranché, comme d'autres historiens, derrière un réalisme désuet qui envisage le fait historique comme identifiable, attesté et certain.

La reconnaissance de l'appartenance du discours historique à la catégorie des récits n'était pas tout à fait nouvelle. En 1970, dans un essai provocateur (Comment on écrit l'histoire), Paul Veyne avait ironisé sur les prétentions de l'histoire à échapper aux catégories littéraires du récit et de la mise en intrigue. Michel de Certeau lui avait répliqué en insistant sur l'importance de l'« institution du savoir » et des pratiques qui légitimaient et limitaient les choix d'une écriture historique dont il ne contestait cependant pas la dimension narrative (L'Écriture de l'histoire, 1975). Paul Ricœur, pour sa part, a souligné la force des intentions de vérité du discours de l'historien qui le démarque de la fiction (Temps et récit, 3 vol., 1983-1985). Alors que d'autres historiens (Carlo Ginzburg, Anthony Grafton) se sont efforcés de mettre en évidence les conditions de la production de la preuve ou de la falsification en histoire, Roger Chartier précise que « même s'il écrit dans une forme littéraire, l'historien ne fait pas de la littérature » du fait de sa dépendance à l'archive (qui est l'ensemble des traces d'un réel passé) et aux critères de scientificité ainsi qu'aux opérations techniques de son métier.

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Pour citer cet article

Bertrand MÜLLER. LINGUISTIC TURN, histoire [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • HISTOIRE (Histoire et historiens) - Courants et écoles historiques

    • Écrit par Bertrand MÜLLER
    • 6 837 mots
    • 1 média
    ...multipliés compliquent un paysage historiographique devenu confus. Deux expressions ont cristallisé provisoirement les débats et les controverses : le tournant linguistique et le tournant critique. Le premier, presque toujours désigné dans sa formulation américaine (linguisticturn) est souvent confondu...
  • HISTOIRE (Histoire et historiens) - L'écriture de l'histoire

    • Écrit par Christian DELACROIX
    • 4 397 mots
    ...États-Unis – de remise en cause des prétentions scientifiques de « l'histoire-science sociale ». Ces approches illustreraient ce qu'il est convenu d'appeler un « tournant linguistique » (Linguistic Turn) en sciences sociales à partir des années 1970, même si l'expression tend le plus souvent à amalgamer toutes...
  • HISTOIRE (Domaines et champs) - Histoire économique

    • Écrit par Michel MARGAIRAZ
    • 4 543 mots
    • 1 média
    ...du blé aux xviiie et xixe siècles. En outre, les travaux labroussiens montrent peu d'intérêt pour le xxe siècle. De surcroît, les effets du Linguistic Turn – courant anglo-saxon qui réduit toute source aux représentations de ses auteurs et réfute ainsi l'idée même de réalité historique – mettent...
  • HISTOIRE (Domaines et champs) - Anthropologie historique

    • Écrit par André BURGUIÈRE
    • 3 148 mots
    • 1 média
    ...Certeau, une histoire radicale des mentalités qui concentre le relativisme de l'approche anthropologique sur les formes de la vie intellectuelle. Encouragés par les propositions théoriques du Linguistic Turn (« tournant linguistique »), les tenants de ce champ historique, qui s'élargit et tend...

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