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NERVAL GÉRARD DE (1808-1855)

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La transcription du drame intérieur

Or, ces deux dernières années, si cruelles, sont aussi, pour l'écrivain, les plus fécondes. Sentant le danger qui le menace, il s'emploie, dans les périodes de répit, à « recomposer » sa tragique aventure. Ses œuvres les plus émouvantes révèlent comment son rêve a pris naissance, puis s'est épanoui et épanché dans la vie réelle, jusqu'à désorganiser sa représentation du monde.

Dans Sylvie (une nouvelle écrite au printemps de 1853, entre deux internements, et incorporée aux Filles du feu), Gérard de Nerval remonte aux premières années de son existence ; il évoque le charme vaporeux du Valois et transpose les premières émotions de son cœur. À la grâce rustique de Sylvie s'oppose le prestige rayonnant d'une jeune fille destinée au couvent, Adrienne. Le narrateur, délaissant le réel pour l'idéal, sacrifie l'amicale Sylvie au souvenir de l'inaccessible Adrienne dont il poursuit vainement le fantôme et dont il croit découvrir, beaucoup plus tard, une incarnation nouvelle dans la comédienne Aurélie. Mais Aurélie se dérobe ; Adrienne et Sylvie lui ont déjà échappé. Conscient de son échec, il est rendu à une solitude désespérée. Nerval a vécu une aventure analogue à celle de ce narrateur : Sylvie ressemble aux petites paysannes du Valois qui furent ses compagnes ; Adrienne rappelle ses rêves d'adolescent ; Aurélie est une image de Jenny Colon.

Dans Aurélia, un récit en prose rédigé pour la plus grande partie chez le Dr Blanche, Gérard de Nerval retrace l'histoire de sa vie intérieure depuis la rupture avec Jenny, rupture entraînée par une faute dont il entend porter seul la responsabilité. Ses rêves délirants, analysés ou transposés, y prennent une signification ambiguë. Ce sont des témoignages cliniques fournis par le malade lui-même ; mais ce sont aussi des images d'une méditation exaltée. Il se persuade, en effet, qu'une correspondance existe entre les événements de notre vie quotidienne et les mystères de l'au-delà. Le songe lui apparaît comme un moyen de passer d'une sphère à l'autre, de saisir le sens caché que révèlent nos aventures terrestres, de percer les « portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible ». En même temps, il s'attache à considérer les crises qu'il a traversées comme des épreuves purificatrices. Dans ses états seconds, il a connu, certes, après de folles extases, des retombées, des angoisses, des paniques ; il a eu des hallucinations terribles, des visions de déluge et d'apocalypse. Une nuit, cependant, lui est venue une illumination radieuse ; la déesse mystérieuse à laquelle il a voué un culte apparaît et lui dit : « Je suis la même que Marie, la même que ta mère, la même aussi que sous toutes les formes tu as toujours aimée. À chacune de tes épreuves, j'ai quitté l'un des masques dont je voile mes traits, et bientôt tu me verras telle que je suis. » Dès lors, il s'est senti pardonné et sauvé. Au cours d'un dernier rêve, Aurélia, qu'il avait cru perdre en perdant Jenny, Aurélia, archétype de toute beauté incarnée en des formes éphémères, est retrouvée, brillant au firmament d'un éclat éternel. Nouvel Orphée, le héros se croit sorti victorieux de sa « descente aux Enfers ». Mais le désordre des derniers mois vécus par Nerval donne à penser que sa certitude s'est évanouie et que le rêveur désenchanté a retrouvé sa fondamentale inquiétude.

Au-delà des épisodes du destin tourmenté qu'évoque encore l'énigmatique Pandora, un récit en prose achevé quelques semaines avant de mourir, Les Chimères, suite de sonnets composés dans un état de « rêverie surnaturaliste », condensent en vers intemporels l'expérience sublimée du poète : aux souvenirs se mêlent des réminiscences[...]

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Pour citer cet article

Pierre-Georges CASTEX. NERVAL GÉRARD DE (1808-1855) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • AURÉLIA, Gérard de Nerval - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 299 mots

    Commencée en 1853 dans la clinique du docteur Émile Blanche, poursuivie au cours d'un voyage en Allemagne, puis au retour, dans le même lieu, interrompue par le suicide de Gérard de Nerval (1808-1855) dans la nuit du 25 au 26 janvier 1855, Aurélia garde, quant à sa structure, un caractère...

  • LES FILLES DU FEU, Gérard de Nerval - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 990 mots

    Les Filles du feu rassemblent des textes de formes diverses : nouvelles, récits, chansons et légendes, séquences dialoguées, sonnets. Quand le volume paraît, le 28 février 1854 – un an avant le suicide de Gérard de Nerval (1808-1855) –, la presque totalité de ces pages a déjà été publiée...

  • LES CHIMÈRES, Gérard de Nerval - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 914 mots

    Le 10 décembre 1853, Alexandre Dumas, présentant « El Desdichado », l'un des sonnets que Gérard de Nerval (1808-1855) lui avait confiés, prophétisait dans un article désinvolte sa mort littéraire. Les Chimères, suite de douze sonnets qui clôt Les Filles du feu (1854),sont la...

  • CÉNACLES ROMANTIQUES

    • Écrit par
    • 2 432 mots
    • 1 média
    ...beaux-arts, épris de littérature nouvelle ; le « Petit Cénacle » rend hommage, par son nom, au Cénacle de Victor Hugo. Certains, comme Théophile Gautier et Gérard de Nerval, connurent la célébrité de leur vivant et contribuèrent, le premier surtout avec son Histoire du romantisme, à faire connaître le...
  • DELAY FLORENCE (1941- )

    • Écrit par
    • 773 mots

    Florence Delay est essayiste et romancière, comédienne, traductrice, scénariste. Elle a été élue à l'Académie française le 14 décembre 2000. Née à Paris le 19 mars 1941, elle fait ses études au lycée Jean de La Fontaine et à la Sorbonne. Attirée par le théâtre, elle est élève à l'école du Vieux-Colombier,...

  • RÉCIT DE VOYAGE

    • Écrit par
    • 7 128 mots
    • 1 média
    ...Nodier, Taylor et Cailleux ont introduit la notion de « voyages pittoresques et romantiques » ; mais ce ne sont déjà plus les monuments qui intéressent Nerval ; il veut, à la façon de Sterne, dont le Voyage sentimental sert de modèle à toute la génération romantique, ne retenir que le domaine des...
  • LYRISME

    • Écrit par , , , et
    • 10 725 mots
    • 2 médias
    Un exemple peut éclairer ces paradoxes. Le célèbre poème « El Desdichado » de Nerval (extrait des Chimères) retentit comme une déclaration d'identité : « Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé... » En fait, cette apparente affirmation n'est que déclinaison d'identités multiples. Le sujet...