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LES FILLES DU FEU, Gérard de Nerval Fiche de lecture

Les Filles du feu rassemblent des textes de formes diverses : nouvelles, récits, chansons et légendes, séquences dialoguées, sonnets. Quand le volume paraît, le 28 février 1854 – un an avant le suicide de Gérard de Nerval (1808-1855) –, la presque totalité de ces pages a déjà été publiée dans des revues ou d'autres œuvres de l'auteur, comme les Petits Châteaux de bohème, 1853. Seuls une partie de la Préface-Dédicace à Alexandre Dumas et quelques poèmes des Chimères sont encore inédits. Dans ses coupures, ses adjonctions, ses transformations, le recueil témoigne de l'itinéraire psychique du poète, et de sa singularité.

En leur troublante diversité, Les Filles du feu annoncent aussi Aurélia et cette « surénergie de la folie » (Béatrice Didier) qui l'habite. Déjà, Angélique, Sylvie, Jemmy, Octavie, Isis, Corilla, Émilie et l'énigme étincelante des douze sonnets des Chimères qui, selon le poète, « perdraient leur charme à être expliqués, si la chose était possible », éclairent et transmuent les souvenirs, les rêves, les irréductibles déchirements de la vie profonde de Nerval. Moins gardiennes d'un secret que révélatrices (et parfois, dissipatrices) d'ombres, Les Filles du feu mettent en scène l'impossible nervalien : la Femme, hors la Mère morte, et donnent à sa mélancolie une dimension mythique.

Le vrai pays

« Connais-tu le pays où les citronniers fleurissent ?... » La chanson de Mignon dans l'ouvrage de Goethe Les Années d'apprentissage de Wilhelm Meister (1795-1796), et son rêve d'un ailleurs qui serait le vrai « pays » pourraient révéler l'unité du recueil, le proche et le lointain s'y mêlent : terre du Valois (matrice de l'âme du jeune traducteur en français de Faust), vibrant des vieilles romances qui jalonnent Angélique et Sylvie et qu'inventorie le florilège de chansons et de légendes qui leur font suite ; terre d'Amérique où l'héroïne éponyme de Jemmy choisit de vivre auprès des Indiens ; Naples et le Pausilippe, gorgé de la lumière suicidaire d'Octavie, tandis que Corilla, dresse une seconde scène napolitaine, à la fois lieu de quête et de perte de soi et de l'objet aimé (cette prima donna, double de Jenny Colon, la cantatrice aimée de Nerval) ; enfin une ville frontalière, entre Prusse et France, le fort de Bitche, où se dénoue le secret tragique narré dans Émilie : autant de théâtres qui, sous l'illusion du voyage, ponctuent la dérive du sujet nervalien.

Car le « pays » obstinément cherché, à travers Les Filles du feu et ces visages de femmes en apparence contrastés (Sylvie et Adrienne, Octavie et la brodeuse napolitaine aux charmes délétères, « les soupirs de la sainte et les cris de la fée » d'El Desdichado) ne découvre pas l'origine où feint de conduire le rêve qui est aussi remémoration. Le commencement n'est jamais que recommencement : « La Treizième revient... C'est encore la première ;/ Et c'est toujours la seule et c'est le seul moment » (Artémis).

À l'image de l'actrice Aurélie, admirée au premier chapitre de la nouvelle et qui réapparaît au treizième et dernier, l'amour entrevu reconduit inlassablement à la désillusion (Sylvie), à la tentation de la mort, à l'union déréalisée par la fascination mythologique (Octavie). La Mère inconnue, à l'origine du drame personnel de Nerval, fait à jamais écran à l'atteinte du « pays », et donc au bonheur. À la coïncidence avec soi, elle substitue l'inquiétante étrangeté, ce sentiment jadis intime qui réapparaît comme autre et inconnu.

Ainsi, dans les récurrences des figures et les résonances harmoniques qui donnent au recueil son charme singulier, Les Filles du feu mènent toutes – y compris « l'athénienne Sylvie » – au domaine de l'ombre ; au monde[...]

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Pour citer cet article

Marie-Françoise VIEUILLE. LES FILLES DU FEU, Gérard de Nerval - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • NERVAL GÉRARD DE (1808-1855)

    • Écrit par Pierre-Georges CASTEX
    • 2 628 mots
    Dans Sylvie (une nouvelle écrite au printemps de 1853, entre deux internements, et incorporée aux Filles du feu), Gérard de Nerval remonte aux premières années de son existence ; il évoque le charme vaporeux du Valois et transpose les premières émotions de son cœur. À la grâce rustique de Sylvie s'oppose...