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MARCEL GABRIEL (1889-1973)

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La foi et la présence aux autres

Second champ d'approfondissement : la destinée humaine vécue en communauté. « Conscience de participer ensemble à une certaine aventure unique, à un certain mystère central et indivisible de la destinée humaine. » Ensemble nous sommes appelés à vivre, à aimer et être aimés, « à souffrir, à décliner, à mourir ». L'existence commune est une sorte de ténèbre. Si fort est le sentiment d'avoir à partager une destinée mortelle qu'il aura poussé Gabriel Marcel à explorer les ressources supposées du métapsychique. Pourtant, chez ce converti, « cerné, submergé par le christianisme », chez ce catholique romain baptisé à quarante ans, c'est dans la foi au Dieu de l'Évangile que se consomment les mystères de la destinée tragique des hommes, plus d'ailleurs que ne s'y résolvent ses problèmes. Troisième thème, distinct des autres ? Non, dès lors que nos rapports avec Dieu sont à penser, selon Gabriel Marcel, sur le modèle des relations interpersonnelles. La foi est fidélité, qui nous engage dans un dialogue où Dieu garde l'initiative. Dieu est le « Toi absolu », suscitant toutes les consciences et les éveillant amoureusement à la liberté. Il faut aimer ce Dieu non point contre, mais à travers le créé, dans l'absolue disponibilité en quoi consiste la charité : « Je me demande si on ne pourrait pas définir la vie spirituelle tout entière comme l'ensemble des activités par lesquelles nous tentons de réduire en nous la part de l'indisponibilité », de nous désencombrer de nous-mêmes. Ce dernier point commande l'éthique marcellienne. Un tel programme de présence aux autres est difficile à réaliser dans l'espace et dans le temps, qui sont des « formes de la tentation ». L'autosuffisance, la dispersion, l'excès de confiance dans les techniques dressent Les hommes contre l'humain – titre d'un essai négatif et sévère. Difficile est la réponse à cette vocation éveillant une personnalité à partir d'une destinée. Cette tâche s'accomplit dans un monde cassé, où les rapports humains sont toujours à sauver de l'échec. Ce dernier thème se trouve amplifié aux dimensions émotionnelles de la scène par Gabriel Marcel : « Mon théâtre, c'est le théâtre de l'âme en exil, de l'âme qui souffre du manque de communion avec elle-même et avec les autres. » C'est, vécu et joué, le mystère du mal, hantise de Gabriel Marcel : on y voit les protagonistes cruellement attachés à leur personnage qui les empêche de s'épanouir en personnes. Seul l'amour est sauveur, mais il est difficile.

Développement de nos « puissances d'émerveillement », goût retrouvé pour le mystérieux, défiance pour les réductions à l'abstrait, ouvertures aux autres et à l'Autre : tels seraient les traits de la « philosophie concrète » à laquelle Gabriel Marcel presse l'homme de revenir.

— Lucien JERPHAGNON

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Lucien JERPHAGNON. MARCEL GABRIEL (1889-1973) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • IMMANENCE ET TRANSCENDANCE

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    • 4 283 mots
    • 1 média
    ...éprouvée existentiellement par l'individu qui, dans les situations limites, peut saisir les signes et opérer une herméneutique qui l'ordonne au divin. De même chez Gabriel Marcel, c'est à partir de la plus intérieure des immanences (et par exemple la méditation négatrice sur son propre néant d'être et...
  • MORT - Les interrogations philosophiques

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    C'est dans le même sens qu'il faut entendre l'aveu d'une héroïne de Marcel, dans La Soif : « Mourir, c'est s'ouvrir à ce dont on a vécu ici-bas. » Car la vraie vie, pour Marcel, est de reposer sur les profondeurs de l'« être » en dépassant les fulgurances de l'« avoir ». Dans un...
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    Le même retour à l'ontologie, opéré par Heidegger à partir de la phénoménologie, est effectué parGabriel Marcel à partir de descriptions de caractère beaucoup plus existentiel ; le pacte, en effet, est ici entre être et existence plutôt qu'entre être et phénomène ; par existence, il faut entendre,...