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ETHNOLOGIE Histoire

De la Renaissance à la révolution industrielle

À partir du xve siècle, l'expansion européenne bouleverse les univers culturels relativement isolés jusque-là, et des humanités « nouvelles » apparaissent dans le savoir et la conscience européens. La découverte de l'Amérique, en particulier, parce qu'elle n'était pas prévue, apporte un choc dont les répercussions se font sentir dans tous les domaines de l'entendement et de la sensibilité. L'humanité même des Américains, comme celle des Africains à partir de l'exploration et de l'esclavage portugais au xve siècle, est en question. Il ne s'agit pas seulement d'une interrogation métaphysique ; il s'agit d'une question politique, économique et concrète urgente. Après une brève période, variable selon les régions (et qui se reproduit au xviiie siècle dans le Pacifique), de vision « paradisiaque » de l'humanité américaine, qui prolonge la mythologie médiévale, les dures réalités de la conquête, puis de l'exploitation économique, des mécanismes de domination politique et de l'effrayante mortalité amérindienne (par les maladies du contact) imposent la création d'un nouveau savoir. Les auteurs sont multiples – conquistadores, missionnaires, administrateurs, colons, marins, théologiens, négociants, moralistes et philosophes, historiens et juristes – mais les interrogations sont toutes les mêmes. Où doit-on placer ces humains dans le tableau général (biblique) de l'humanité ? Quels rapports historiques entretiennent les Américains avec l'humanité connue ? Quelle place occupent les nouveaux phénomènes observés dans la nature ? Quelle est la nature et l'origine de leurs institutions et de leurs croyances ? Les réponses successives, contradictoires et passionnées, qui sont apportées à ces questions constituent sans doute la première grande source de l'ethnologie. Cet ébranlement initial du savoir instaure une tradition continue d'examens et de débats, entretenue par les réalités du mercantilisme et de la christianisation. Des bouleversements connexes, dans d'autres domaines de la connaissance (les débuts de l'anatomie et de la physiologie, la révolution copernicienne), remettent en cause l'européocentrisme spontané : ni la Terre, ni le corps, ni l'Europe ne sont plus le centre et la mesure de toute chose.

Dès la fin du xvie siècle, pour ne citer qu'un exemple, Joseph de Acosta publie L'Histoire naturelle et morale des Indes orientales (1589, Séville). Non seulement il propose un tableau général des productions naturelles de l'Amérique et de ses peuples, à partir d'une expérience directe d'observateur et de la lecture d'une masse impressionnante de témoignages, y compris indigènes, mais encore justifie l'autonomie relative d'un projet scientifique, en le jugeant « utile » (à la christianisation et à la colonisation), et avance, dans sa classification des peuples, un argument théorique qui la fonde. La complexité croissante des formes de gouvernement repose sur une acquisition graduelle de la rationalité. L'idée est empruntée à Aristote ; son application mène à l'évolutionnisme. Pour séduisante que soit l'anthropologie de J. de Acosta, elle ne représente qu'un aspect des spéculations de l'époque. Il faut considérer aussi le choc en retour. Depuis Jean de Léry et Montaigne, la multiplication des expériences humaines, naturelles et morales, connues, favorise l'esprit critique et l'examen relativiste de nos institutions, coutumes et croyances.

Au xviiie siècle, un triple mouvement intellectuel va donner naissance au projet scientifique de l'anthropologie. Les sauvages et les barbares, contemporains lointains mais synchrones de l'Européen, vont être situés dans une histoire universelle.[...]

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Pour citer cet article

Patrick MENGET. ETHNOLOGIE - Histoire [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Livre des Merveilles</it> de Marco Polo - crédits : De Agostini/ Getty Images

Livre des Merveilles de Marco Polo

Alfred Wallace - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

Alfred Wallace

Autres références

  • AFRICAINS CINÉMAS

    • Écrit par Jean-Louis COMOLLI
    • 1 131 mots

    L'histoire des cinémas africains se sépare difficilement de celle de la décolonisation. Il y eut d'abord des films de Blancs tournés en Afrique. Puis, à partir des années soixante, les nouveaux États africains ont été confrontés au problème de savoir quel rôle, quelle orientation, quels...

  • ANTHROPOLOGIE

    • Écrit par Élisabeth COPET-ROUGIER, Christian GHASARIAN
    • 16 158 mots
    • 1 média
    En Europe, le terme « anthropologie » désigna longtemps l'anthropologie physique, ce qui explique l'usage général du mot« ethnologie » pour les études s'appliquant à l'aspect social et culturel des populations, tandis que la préhistoire, l'archéologie et la linguistique constituaient des domaines...
  • ANTHROPOLOGIE RÉFLEXIVE

    • Écrit par Olivier LESERVOISIER
    • 3 448 mots
    ...dans la prise de conscience de la nécessité de ne plus passer sous silence les effets de la dimension intersubjective de l'enquête de terrain. En dévoilant les frustrations et les colères de l'ethnologue contre ses hôtes, l'ouvrage révèle le caractère illusoire d'une observation neutre et montre...
  • ANTHROPOLOGIE ANARCHISTE

    • Écrit par Jean-Paul DEMOULE
    • 4 849 mots
    • 3 médias
    ...développé cette même problématique des zones hors de l’État, cette fois à propos des hauts plateaux entre Soudan et Éthiopie. Combinant archéologie et ethnologie, il recense les diverses stratégies qu’ont adoptées différents groupes ethniques face à l’État, certains ayant opposé une résistance radicale,...
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