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COLONISATION

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Le second système colonial

Impérialisme et colonisation

Réalités économiques et doctrine

La grande phase de l'expansion impérialiste commence entre 1870 et 1880. On peut, pour prendre ses dimensions, en revenir à Jules Ferry. En 1890, il met en lumière le caractère fondamentalement nouveau de la période : « Un mouvement irrésistible, écrit-il, emporte les grandes nations européennes à la conquête de terres nouvelles. C'est comme un immense steeple-chase sur la route de l'inconnu. De 1815 à 1850, l'Europe était casanière et ne sortait guère de chez elle [...]. C'était l'époque des annexions modestes et, à petits coups, des conquêtes bourgeoises et parcimonieuses. Aujourd'hui, ce sont des continents que l'on annexe.[...] La politique coloniale est une manifestation internationale des lois éternelles de la concurrence. »

À l'origine de cette poussée, il y a des motivations d'ordre général qui se nuancent selon les pays. Sans doute y a-t-il des raisons de prestige. Mais encore faudrait-il démontrer précisément pourquoi, à cette époque, la puissance coloniale devient une des composantes du prestige national, et pourquoi le nationalisme des grandes puissances se nourrit désormais des ambitions coloniales que, naguère, il récusait au profit d'une politique avant tout continentale. On avance aussi des explications d'ordre démographique puisqu'il y a, de 1870 à 1914, un accroissement très sensible de la population européenne. On évalue à 1 450 000 la moyenne annuelle des émigrants entre 1890 et 1914. Toutefois, cette pression démographique ne joue guère pour la France. Bien des régions en voie de colonisation (Afrique noire, Asie du Sud-Est) ne peuvent être considérées comme des déversoirs pour les populations européennes dont les excédents se dirigent vers des pays politiquement indépendants comme certains États de l'Amérique du Sud. En dernière analyse, il faut bien, comme les contemporains l'ont estimé, mettre l'accent sur les causes économiques de la poussée impérialiste. Si l'Europe est, ici ou là, surpeuplée, elle est aussi surindustrialisée et surcapitalisée. Plus que jamais, elle a besoin de produits indispensables à son alimentation (café, cacao, oléagineux), à ses industries (caoutchouc, coton, produits miniers), bientôt à ses capacités énergétiques (pétrole). Même s'il ne convient pas d'exagérer l'influence du retour au protectionnisme qui se dessine après la crise de 1873, même si on admet que le libéralisme n'a pas complètement disparu et qu'après tout ce protectionnisme est hésitant, non systématique, il n'en reste pas moins que l'Europe est à la recherche de marchés pour les excédents de ses industries. Enfin, les colonies ou les territoires à demi-dépendants peuvent constituer pour les capitaux des placements plus bénéfiques que ceux qu'on fait dans les pays métropolitains assez saturés pour que le taux de l'argent y soit plus bas. « Là où sont les intérêts, là doit être la domination », telle est la formule de Charles Dilke, un des premiers théoriciens de l'impérialisme britannique. Certains historiens ont démontré qu'en fait tous ces objectifs n'avaient pas été atteints. C'est ainsi que, tout au moins pour la France, et très visiblement jusqu'en 1914, les capitaux ne sont pas dirigés par priorité vers les colonies, et que le commerce de l'étranger a, plus que celui de la France, profité de l'effort colonial français. Oui, cela est exact. Mais ce qui est déterminant, et qui explique la poussée expansionniste, c'est la vertu qu'on lui attribuait même si, à l'expérience, il est apparu que, dans certains cas, la colonisation n'avait pas été aussi bénéfique à l'ensemble du capitalisme métropolitain qu'on l'avait pensé.

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En tout cas, et tout particulièrement en Angleterre et en France, toutes ces motivations se mêlent pour former un véritable corps de doctrine, pour faire surgir une véritable mystique et animer « un parti colonial ». La notion d'empire se précise, et l'on cherche les fondements dans l'histoire passée de la colonisation.

Le partage du monde

Les empires coloniaux au début du <pc>XX</pc><sup>e</sup> siècle - crédits : Encyclopædia Universalis France

Les empires coloniaux au début du XXe siècle

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La fièvre expansionniste est évidente. Le partage du monde est en fait terminé en 1914. Deux puissances, qui peuvent précisément prendre appui sur une tradition et se vanter d'une longue expérience, sont au premier rang : l'empire britannique (30 millions de kilomètres carrés et 400 millions d'habitants), l'empire colonial français (10 millions de kilomètres carrés et 48 millions d'habitants). De nouveaux concurrents sont apparus qui réclament leur place au soleil : l'Allemagne (Togo, Cameroun, Sud-Ouest africain, Afrique-Orientale, une partie du Congo, les îles Marshall, Carolines, les Mariannes), et l'Italie qui échoue en Éthiopie mais occupe la Tripolitaine et les îles du Dodécanèse : la Belgique qui hérite en 1908 de l'État indépendant du Congo que le roi Léopold avait fondé. Les États-Unis se convertissent à l'impérialisme colonial à partir de 1898.

L'expansion prend aussi, quand il n'y a pas de colonisation proprement dite, les formes de l'emprise économique. Il s'agit de ce que Lénine avait appelé les « États semi-coloniaux » : Chine, Iran, Amérique du Sud, ou Empire ottoman. Dans la plupart des cas, il y a bien, sinon toujours de jure, tout au moins de facto, limitation de la souveraineté du pays considéré. Lorsque, par exemple, l'Allemagne obtient de la Turquie, en 1903, la concession du chemin de fer dit Berlin-Byzance-Bagdad, elle reçoit en même temps le droit d'exploiter une zone de 30 km de part et d'autre de la ligne (ce qui lui assure le pétrole de Mossoul).

Ce partage du monde ne va pas sans difficultés, en dépit de conférences comme celle de Berlin (1884-1885) et de multiples compromis : rivalité anglo-française qui atteint son point critique avec l'affaire de Fachoda, en 1898, et se termine par les accords de 1904 ; rivalité anglo-russe à propos des confins de l'Inde, et que la France arbitre lors des accords de 1907 ; rivalité franco-italienne à l'occasion de la question tunisienne ; rivalité anglo-allemande et rivalité franco-allemande dont l'histoire est jalonnée par « les crises marocaines ».

Diversité des solutions politiques

Les problèmes politiques posés par la colonisation ont connu des solutions diverses selon les métropoles et les caractéristiques des pays colonisés. Problèmes qui n'ont d'ailleurs aujourd'hui d'intérêt que dans la mesure où leur étude permet d'éclairer la question fondamentale du rapport colonisateurs-colonisés. L'empire britannique se fait remarquer par une très grande variété de statuts : des dominions (Canada, 1867 ; Australie, 1901 ; Nouvelle-Zélande, 1907 ; Union sud-africaine, 1910) ; des protectorats, comme l'Inde des princes ; ou des colonies de la Couronne administrées de Londres par le Colonial Office. Les conférences impériales organisées à partir de 1887 tentent de concilier l'autonomie des dominions, les préoccupations de la métropole et les intérêts d'ensemble de l'empire.

Bao-Dai - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Bao-Dai

La France, même à l'époque de l'impérialisme, n'a pas de politique systématique, et le ministère des Colonies n'est créé qu'en 1894. On hésite longtemps entre ce qu'on appelle assimilation et association. Les deux mots ont d'ailleurs, en matière coloniale, une acception très particulière. L'assimilation, qui est dans le sillage de la tradition jacobine, a prévalu pour les Antilles, la Réunion, la Guyane, le Sénégal et la Cochinchine. Mais l'assimilation est purement administrative et, sauf quelques exceptions souvent individuelles, elle ne fait pas des indigènes des citoyens à part entière. Quant à l'association, qui comporte en principe le maintien de certaines institutions locales, elle se présente sous deux aspects, l'administration directe (avec un gouverneur) ou le protectorat (Tunisie, Cambodge, Maroc, Annam). En fait, le protectorat n'est qu'une forme plus habile et moins coûteuse de la domination. La situation de l'Algérie demeurait particulière. Toute velléité de réforme concernant les Algériens musulmans se heurtait à l'opposition des colons. Si l'Algérie était rattachée au ministère de l'Intérieur, elle était cependant pourvue d'un gouverneur général, le droit de vote n'étant accordé qu'à une infime minorité d'Algériens musulmans.

Le commencement de la fin

L'Europe et le monde en 1914 - crédits : Encyclopædia Universalis France

L'Europe et le monde en 1914

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En dépit de la stabilité très apparente des empires coloniaux, de 1914 à 1918, la Première Guerre mondiale ouvre des brèches dans l'édifice colonial. Il y a bien un nouveau partage du monde, les vainqueurs profitant des dépouilles des vaincus ; il y a une nouvelle vague d'exaltation de l'idée coloniale (comme en témoigne l'Exposition coloniale internationale de 1931 à Paris) et aussi quelques flambées expansionnistes : l'Italie occupe l'Abyssinie, et le Japon, qui est entré dans le cercle des puissances coloniales, consolide sa mainmise sur une partie de la Chine. On voit des « colonies », telles l'Union sud-africaine, la Nouvelle-Zélande et l'Australie, recevoir des mandats « coloniaux ». Cependant, les mouvements de libération nationale se développent sous des formes diverses, et avec une plus grande force depuis la guerre et la révolution soviétique. Des réformes sont esquissées ça et là pour tenter d'endiguer la poussée des peuples colonisés. Le Commonwealth se substitue à la formule de l'empire britannique. La Seconde Guerre mondiale précipite le démantèlement du système colonial. Désormais, en dépit de ses séquelles et malgré le néo-colonialisme que redoutent les nouveaux États indépendants, la colonisation appartient au passé. Elle relève du domaine des historiens.

— Jean BRUHAT

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Écrit par

  • : maître assistant à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris

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Colons et colonisés, Marc Ferro - crédits : Encyclopædia Universalis France

Colons et colonisés, Marc Ferro

Léopold II - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Léopold II

Jamestown et la colonisation - crédits : MPI/ Getty Images

Jamestown et la colonisation

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