Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

CIVILISATION

Typologie et phénoménologie des civilisations

Délimitation

Lorsqu'on distingue les civilisations les unes des autres, il faut d'abord savoir en préciser les contours dans le temps et dans l'espace.

Les historiens ont parfois tendance à voir dans le développement de l'humanité une succession de civilisations : hellénique, romaine, médiévale, etc. Mais ces seuls exemples montrent que le concept est chargé alors de significations différentes. Ainsi, la civilisation romaine se définit à partir du mode de vie d'un peuple qui, peu à peu, a fait rayonner autour de lui sa conception de la société. Il s'agit donc là d'un phénomène, l'impérialisme, qui est tout autant historique que sociologique et s'explique en partie par les conquêtes. La civilisation est, dans ce cas, à chaque période de son existence, délimitée par des frontières à l'intérieur desquelles elle forme une totalité plus ou moins unifiée.

À l'inverse, lorsqu'on parle de la civilisation médiévale, on songe plutôt à un type de société globale qui se trouve représenté à des périodes diverses et en des lieux parfois fort éloignés les uns des autres. Il serait même plus exact d'employer l'expression de civilisation féodale. On en trouve des exemples aussi bien en Europe qu'en Extrême-Orient. C'est à ce genre de typologie que se réfère par exemple Georges Gurvitch lorsqu'il distingue les sociétés théocratiques, patriarcales, féodales, capitalistes. Allant plus loin encore dans l'abstraction, Max Weber définissait des types idéaux qui étaient des modèles rationnels dont on pouvait trouver, ou même ne pas trouver des manifestations concrètes. Ainsi, le type idéal de la civilisation capitaliste serait construit par le sociologue qui, ensuite, lui comparerait telle ou telle phase historique d'une société donnée. Enfin, d'une manière à la fois concrète et générale, on a recours au même concept pour désigner des états déterminés, mais universellement répandus à tel ou tel moment de la société. C'est le cas par exemple de la civilisation néolithique, qui constitue un stade d'évolution par lequel sont passés, avec plus ou moins d'avance ou de retard, tous les groupes humains au sortir de l'âge paléolithique, et qui constitue un type de vie assez nettement structuré, homogène, si bien que certains anthropologues comme Claude Lévi-Strauss y verraient volontiers l'état social le plus proche du modèle général de toute société.

Il est donc clair que, suivant le mode de classification que l'on se propose, on prend le mot « civilisation » dans des sens plus ou moins concrets ou abstraits. En fait, c'est même toujours entre ces deux extrêmes qu'il se situe, car, d'une part, le type idéal, s'il était une pure abstraction, serait sans utilité puisqu'il doit servir à rendre compréhensibles des phénomènes réels, et, d'autre part, une typologie naïvement concrète ne permettrait pas de dépasser le niveau événementiel.

Si, malgré ces nuances, dans tous les emplois qu'on vient de citer, la notion de civilisation s'applique à des totalités, il paraît utile aussi, dans d'autres processus d'analyse, de distinguer, dans un même ensemble réel ou même abstrait, des couches ou des éléments constituant des civilisations diverses. Par exemple, on l'a vu, Redfield découvre la dynamique civilisatrice dans l'interaction entre deux niveaux de civilisation correspondant respectivement à la « petite tradition » et à la « grande tradition ».

Des distinctions de ce genre sont certainement utiles aux folkloristes. Ainsi, André Varagnac peut entreprendre l'étude de la « civilisation traditionnelle », en l'isolant du contexte moderniste, en laissant de côté les éléments de culture savante.[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : membre de l'Institut, professeur émérite à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Jean CAZENEUVE. CIVILISATION [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Oswald Spengler - crédits : ullstein bild/ Getty Images

Oswald Spengler

Autres références

  • ART (Aspects culturels) - L'objet culturel

    • Écrit par Jean-Louis FERRIER
    • 6 295 mots
    • 6 médias
    Dans La Figure et le lieu, l'ordre visuel du Quattrocento, Pierre Francastel applique à la peinture traditionnelle l'idéed'objet de civilisation. Lorsque, dans une œuvre du Moyen Âge, on voyait une grotte ou un rocher, cela signifiait, pour les spectateurs de l'époque, le lieu de rencontre...
  • BARBARIE ÉTAT DE

    • Écrit par Claude LEFORT
    • 854 mots

    L'état de barbarie est un concept tout relatif. Il a reçu des applications diverses dans le temps et dans l'espace. Dans l'Antiquité, le terme « barbare » est utilisé par les Grecs, puis par les Romains (grec barbaros, latin barbarus). Il désigne alors l'étranger, celui qui n'est...

  • CIVIL DROIT

    • Écrit par Muriel FABRE-MAGNAN
    • 9 077 mots
    Étymologiquement, le droit civil a d'ailleurs à voir avec la civilisation (terme fabriqué à partir de « civil » et « civilisé », qui renvoyaient principalement à quelqu'un de policé). Dans Grammaire des civilisations, Fernand Braudel rappelle que le terme « civilisation » est...
  • CIVILISATION PROCESSUS DE

    • Écrit par André BURGUIÈRE
    • 1 291 mots

    La parution en France, en 1973, de La Civilisation des mœurs, traduction d'une partie du livre de Norbert Elias, Über den Prozess der Zivilisation, trente-quatre ans après sa publication quasi confidentielle en Suisse, fut un succès immédiat grâce aux comptes rendus enthousiastes que deux historiens...

  • Afficher les 22 références

Voir aussi