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HARRIS ZELLIG SABBETAI (1909-1992)

La recherche de Zellig Sabbetai Harris est intimement liée aux travaux de l'école américaine d'analyse distributionnelle qui a élaboré son programme pour la linguistique dans les années 1930 et 1940, sous l'impulsion de E. Sapir et L. Bloomfield. Ce dernier avait proposé d'abstraire de la phrase des unités définies formellement et qui serviraient à décrire les rapports observés entre les diverses parties de la phrase. Ainsi, les phonèmes devaient rendre compte des phénomènes phonologiques, et les morphèmes, qui pouvaient et devaient être différents des unités phonologiques, devaient rendre compte de la construction de la phrase. Ce programme a rencontré un accord à peu près unanime dans les études phonologiques ; il a abouti à une définition du phonème presque universellement admise. En revanche, les mêmes méthodes appliquées au problème de l'analyse syntaxique de la phrase ont été diversement utilisées, sans aboutir à un consensus général sur une méthode distributionnelle.

L'œuvre de Harris (Methods in Structural Linguistics, 1951) est une somme magistrale de l'application de cette méthode distributionnelle à l'analyse phonologique et syntaxique de la phrase ; elle constitue le premier traité sur le traitement formel de la langue. La formalisation est poussée, et elle refuse toute utilisation du sens comme critère de définition formelle des phonèmes et des morphèmes ; le recours au sens a été en effet la source de maintes difficultés dans les essais antérieurs. Harris remplace les sens par le critère formel de la somme totale des environnements (la distribution) des éléments abstraits. Il réussit ainsi à axiomatiser entièrement l'analyse de la langue, avec une rigueur inaccoutumée jusque-là.

Par la suite, Harris cherche une régularisation du langage qui, dépassant l'analyse de la phrase isolée, englobe une suite cohérente de phrases, autrement dit, un discours (Discourse Analysis Reprints, 1963). L'essai qu'il présente montre qu'on ne peut mener à bien l'analyse du discours sans examiner les rapports entre phrases. Puisqu'il y a en général plusieurs façons de « dire la même chose », c'est-à-dire plusieurs paraphrases possibles d'une seule phrase, il n'est pas possible d'analyser systématiquement un discours sans avoir préalablement mis en relation les paraphrases des divers schémas de phrases. C'est l'étude de ces paraphrases, et du passage d'une paraphrase à une autre, que Harris nomme analyse transformationnelle (« Discourse Analysis », in Language, vol. XXVIII, 1952 ; « Co-occurrence and Transformation in Linguistic Structure », ibid., vol. XXXIII, 1957). Pour Harris, ce genre d'analyse linguistique doit précéder toute tentative d'associer des structures mathématiques aux phrases de la langue. Chomsky, son élève le plus réputé, a repris ce type d'analyse, mais, contrairement à Harris, il introduit une structure mathématique arborescente qui sert de support aux transformations. Le concept originel de Harris, toujours valide, est dépouillé à l'extrême ; il ne contient que ce qui est nécessaire à la définition des transformations comme relations linguistiques entre phrases. Ce concept est développé en détail (Mathematical Structures of Language ; J. Wiley and Sons, New York, 1968), ainsi qu'une seconde idée maîtresse, à savoir que la métalangue est dans la langue. La métalangue contient certaines sous-classes de noms comme mot, bruit, phrase..., et des phrases construites sur des prédicats contenant ces sous-classes. Les phrases de la métalangue sont nécessaires à la description de certaines phrases de la langue, comme 'Paul' contient quatre lettres, ou à l'expression d'une théorie grammaticale, comme dans « Paul dort » est une phrase. Harris[...]

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Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Morris SALKOFF. HARRIS ZELLIG SABBETAI (1909-1992) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • DISTRIBUTIONNALISME

    • Écrit par Catherine FUCHS
    • 964 mots
    Cette méthode, exposée de façon détaillée par Zellig Harris (1909-1992) dans Methods in Structural Linguistics (1951), consiste à recueillir un « corpus » (c'est-à-dire un ensemble homogène d'énoncés considéré comme représentatif de la langue à étudier), puis à segmenter ce corpus. La technique...
  • LINGUISTIQUE - Théories

    • Écrit par Catherine FUCHS
    • 7 713 mots
    • 1 média
    ...intéressé à la question des universaux du langage. C'est aussi dans le sillage de Sapir que s'est développé, sous l'impulsion de Leonard Bloomfield puis de Zellig Harris et de Charles Hockett, le courant distributionnaliste, caractéristique de la linguistique structurale américaine. Ce courant se distingue...
  • MODÈLE

    • Écrit par Raymond BOUDON, Hubert DAMISCH, Jean GOGUEL, Sylvanie GUINAND, Bernard JAULIN, Noël MOULOUD, Jean-François RICHARD, Bernard VICTORRI
    • 24 464 mots
    • 2 médias
    ...linguistique sont, sans conteste, de type logico-algébrique. La première impulsion de modélisation des langues en termes algébriques vient sans doute de Zellig Harris (dont Chomsky fut un élève), qui a développé un modèle transformationnel dans lequel les phrases sont obtenues à partir de phrases noyaux subissant...
  • SÉMANTIQUE

    • Écrit par Catherine KERBRAT-ORECCHIONI
    • 10 314 mots
    • 1 média
    ...que Leonard Bloomfield, certains théoriciens allant même jusqu'à dénier au sens tout droit de cité dans le modèle linguistique : ainsi pour Harris en 1952, « la linguistique descriptive ne se préoccupe pas du sens des morphèmes », et l'on sait que, dans sa première version, le modèle génératif-transformationnel...

Voir aussi