Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

VIDE, physique

« La nature a horreur du vide » : tel est le dogme que l'on attribue couramment à l'aristotélisme médiéval. De fait, si un vrai vide existait entre deux corps matériels, on comprend mal comment ils pourraient interagir : sauf à admettre une inacceptable action à distance sans médiation aucune, toute influence, de quelque nature qu'elle soit, devrait se propager à travers ce vide – qui cesserait ipso facto de l'être. Depuis Aristote, cette objection a gardé toute sa force. À l'opposé, les atomistes antiques concluaient non moins logiquement à la nécessaire existence du vide à partir de la seule considération du mouvement : comment les corps pourraient-ils se déplacer dans l'espace si ce dernier était déjà plein ? Cette aporie n'a pu être levée par la physique moderne qu'au prix d'un raffinement progressif des notions même de plein et de vide.

Au milieu du xviie siècle, Torricelli, Boyle et Pascal ont montré la possibilité de « tubes à vide » d'où l'air était évacué, ouvrant ainsi la voie à toute une technologie des basses pressions. Depuis les premières machines pneumatiques de von Guericke (1658) jusqu'aux très sophistiquées pompes moléculaires modernes, on a pu atteindre des « vides » de plus en plus poussés dans les enceintes destinées à des expériences de précision ; les guillemets s'imposent ici, puisque ces vides ne sont jamais complets, et qu'y subsistent, en nombre certes réduit, quelques molécules du gaz initial. De même, des expressions comme celle de « vide interplanétaire » ne sont que des commodités de langage. Le « vide » de Pascal, non seulement ne peut être total, mais de toute façon ne concerne que la matière gazeuse. Car la physique, sitôt qu'elle atteint une nouvelle conception du vide, trouve bientôt celui-ci plein d'une substance imprévue. Les effets, gravitationnels ou lumineux, des astres sur nous traduisent l'existence d'une certaine substantialité dans l'espace qui nous en sépare. L'idée trop banale d'un fluide subtil, l'éther, chargé de ce rôle ayant échoué, ce sont des entités inédites, les champs, gravitationnels ou électromagnétiques, qui désormais occupent cet espace. Ainsi, l'énoncé selon lequel la lumière se déplace dans le vide n'est sans doute pas le plus adéquat pour traduire la conception moderne. Mieux vaudrait dire, par exemple, que l'espace est rempli par le champ électromagnétique qui s'y propage. En définitive, du point de vue de la physique classique, le vide coïncide avec l'espace abstrait, débarrassé par la pensée de tout objet ou phénomène physique.

La théorie quantique cependant rend plus problématique encore cette idée, en interdisant la possibilité même d'une scène spatiale ainsi rendue vacante. C'est que toute portion de l'espace-temps, isolée par la pensée, doit se voir attribuer un contenu énergétique d'autant plus important que cette portion est petite. C'est là une conséquence inéluctable des inégalités quantiques de Heisenberg : toute restriction sur la taille d'une cellule spatio-temporelle se paie d'une extension de sa dispersion en énergie. Ainsi, même dépourvu de sources (charges électriques, masses), un domaine fermé de l'espace voit des manifestations spontanées et sporadiques de champs quantiques, qu'on appelle, de façon assez paradoxale, « fluctuations du vide ». Le vide quantique est ainsi le siège d'une dynamique énergétique d'autant plus intense qu'il est étudié à une échelle plus petite.

Descartes avait sans doute tort dans sa conception d'un espace plein de « tourbillons » fluides, mais son refus du vide n'était pas sans motifs. Pascal lui-même avait d'ailleurs bien compris que le vide n'est pas un néant dépourvu de propriétés physiques,[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Jean-Marc LÉVY-LEBLOND. VIDE, physique [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CHROMODYNAMIQUE QUANTIQUE

    • Écrit par Bernard PIRE
    • 6 420 mots
    • 6 médias
    Il faut enfin s’arrêter sur l’épineux problème de l’état fondamental de la chromodynamique, ce qu’on appelle en physique quantique le « vide », l’état d’énergie minimale d’un ensemble de gluons, de quarks et d’antiquarks en interactions. La chromodynamique a-t-elle un seul état fondamental ?...
  • LANIAKEA, superamas de galaxies

    • Écrit par Hélène COURTOIS, Daniel POMARÈDE
    • 2 090 mots
    • 2 médias
    ...gardant à l’esprit la recherche de la cause de la vitesse (2,3 millions de km/h) de notre Galaxie à travers l’Univers. C’est d’abord dans l’étude des vides cosmiques qui entourent Laniakea que les recherches se sont concentrées. Les courants cosmiques ont cette propriété remarquable qu’ils coulent depuis...
  • VIDE MESURE DU

    • Écrit par Jean-Pierre LÉVIS
    • 1 182 mots

    Le terme mesure du vide désigne la mesure des pressions inférieures à la pression atmosphérique. Elle fait appel à des procédés et à un appareillage spécifiques, ainsi qu'à des méthodes particulières conduisant à des mesures le plus généralement indirectes, en raison de la faible intensité...

  • VIDE TECHNIQUE DU

    • Écrit par Pierre AILLOUD
    • 6 399 mots
    • 5 médias

    Le but de la technique du vide est d'obtenir des pressions inférieures à la pression atmosphérique en diminuant la quantité de matière présente sous la forme de gaz ou de vapeur. On utilise à cet effet différents modèles de pompes selon la pression que l'on souhaite obtenir. Les procédés mis...

Voir aussi