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BRIOUSSOV VALERIÏ (1873-1924)

Du symbolisme à l'académisme

Brioussov débuta, en février 1894, dans le premier des trois cahiers intitulés Les Symbolistes russes. À la fin de la même année parut le deuxième cahier et, en été 1895, le troisième. C'est ce dernier qui rendit Brioussov célèbre avec une poésie composée de ce seul vers :

Oh, recouvre donc tes jambes blêmes !

Cette « poésie » eut le don d'exaspérer, entre autres, Tolstoï et Tchekhov. Celui-ci s'exclama : « Tous ces décadents sont de solides moujiks, pourris par l'oisiveté. Et leurs jambes ne sont pas du tout « blêmes », mais poilues, comme celles de tout le monde. »

Ce sont pourtant ces trois minces fascicules dirigés par Brioussov qui introduisirent en Russie l'« art nouveau » et furent à l'origine d'un véritable renouveau artistique et culturel. Ils firent de Brioussov un chef de file incontesté, le maître vénéré de toute une génération.

En 1895 paraît le premier des quatorze recueils qui constituent l'œuvre poétique de Brioussov. Ce recueil s'intitule Chefs-d'œuvre. Il s'inspire de Baudelaire, de Verlaine, de Rimbaud, de Vielé-Griffin et d'Henri de Régnier. L'érotisme en est le thème central. Un érotisme hiératique et glacé, fortement teinté de sadisme, qui restera un des thèmes permanents de Brioussov. Le deuxième thème du recueil est l'exotisme. Le troisième est le thème de la ville, du paysage urbain emprunté aux Fleurs du mal.

En 1897 paraît un deuxième recueil, Me eum esse. Le monde y apparaît comme une ombre, une représentation toute personnelle et abstraite du poète. L'artiste crée ce monde idéal, sa propre réalité esthétique. Dans cet univers imaginaire, il se sent tout-puissant :

Je ne vois pas notre réalité, Je ne connais pas notre siècle, Je hais ma patrie, Je n'aime que l'idéal créé par l'homme...

Me eum esse représente une étape importante dans l'évolution du symbolisme russe. Brioussov crée la conception du poète-démiurge et exalte la puissance de sa volonté créatrice. C'est là une sorte de schéma abstrait auquel d'autres, plus doués que lui, Blok, Ivanov, Biély, donnent, quelques années plus tard, un contenu concret.

Le troisième recueil, Tertia Vigilia (1900), marque et la maturité du poète et le début de sa célébrité. Ce qui frappe dans ce livre, c'est la contradiction absolue entre les idées de l'auteur et leur application pratique. Tout en se réclamant de l'idéalisme esthétique des romantiques allemands, Brioussov reste un réaliste et un positiviste. Tout en affirmant la subjectivité, il ne sait peindre que ce qui est objectif. Pour lui, le monde est un musée dont il dresse consciencieusement le catalogue. Au lieu d'une synthèse, nous avons devant nous un inventaire. L'inventaire est complet, car Brioussov ne sait pas choisir : il collectionne tout, les paysages et les monuments d'art, les événements historiques, les idées, les croyances. Son érudition universelle se traduit dans des vers emphatiques et solennels. Avec, cependant, quelques exceptions. Çà et là, quelques pures et aériennes poésies lyriques dont les meilleures sont consacrées aux enfants, envers lesquels il savait même être tendre.

En 1903 paraît le meilleur recueil de Brioussov, Urbi et orbi. Cet ouvrage devient le bréviaire des jeunes symbolistes et apporte à Brioussov la gloire. En effet, la maîtrise verbale du poète est à son apogée. Il introduit le vers libre français, enrichit le vocabulaire poétique ; en particulier, il reprend les mélodies populaires, oubliées depuis Nekrassov (mort en 1877). Le thème de la ville domine dans Urbi et orbi. Cette sombre poésie de la ville moderne a été inspirée à Brioussov par Verhaeren. La « ville terrible » est la fatalité du poète. Il hait ce monstre avide et impur, mais ne peut pas ne pas subir son envoûtement.[...]

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Pour citer cet article

Sophie LAFFITTE. BRIOUSSOV VALERIÏ (1873-1924) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • SYMBOLISME - Littérature

    • Écrit par Pierre CITTI
    • 11 859 mots
    • 4 médias
    ...(c'est-à-dire marqué de modernité européenne et notamment française), et comme le poète d'une Italie nouvelle. De même pour les Russes : Valerii Brioussov, traducteur de Verlaine et de Maeterlinck, convertit en émotions nationales sa découverte du symbolisme. Plus tard, Alexandre Blok place ...

Voir aussi